Cela faisait déjà trois ans que Christopher Nolan n'était pas revenu squatter nos écrans pour capter l'attention des cinéphiles de tous bords, l'odyssée spatiale démesurée laisse place au film de guerre sensoriel, mais en gardant cette fois une ligne de conduite : le contrôle du temps. Interstellar nous faisait voyager de planète en planète sous le coup de la relativité, Dunkirk joue la balance sous une triple temporalité se réunissant pour créer une dynamique de montage qui n'est pas sans rappeler un certain Memento. Alors, film somme ou nouveau virage pour le réalisateur anglais ?


Le choix du récit des soldats évacués de Dunkerque durant la seconde guerre mondiale avait de quoi laisser perplexe vis à vis des motivations de Nolan pour fournir un nouvel opus spectaculaire, ou comment un événement réel peut-il être raconté par ce metteur en scène qui n'est pas toujours des plus subtils, le risque était pour moi clairement ici. Le contexte historique se montre à la fois plus ou moins fidèle dans sa retranscription que romancé par ces personnages, il n'est pas ici question de dépeindre une fresque narrative mais bien de proposer une chronique, sur trois points de vues et temporalités : la terre, la mer et l'air ; le premier durera une semaine, le second un jour et le dernier une heure. Le réel intérêt de Dunkirk est l'immersion, avec un panel de personnages bien définis : les jeunes soldats anglais désertant Dunkerque sous le feu de l'artillerie allemande, une famille allant secourir l'armée britannique au large des côtes ainsi que trois speedfighters chargés d'anéantir l'aviation ennemie ; le tout étant réglé sur du papier à musique pour ressentir des sensations fortes. Les premières séquences donnent l'envergure des enjeux à venir, c'est à dire démarrer à travers les yeux d'un adolescent carabinier se retrouvant perdu au bord d'une plage immense fourmillant de rangées de soldats, l'impuissance gagne lorsque les bombardiers approchent pour les décimer, soulignant l'Enfer qu'il faut fuir, ce même Enfer que ce modeste bateau de plaisance rejoint de l'autre côté de la Manche, la route étant sillonnée par l'avion de Tom Hardy, créant l'axe.


Cet axe va donc être une ligne de temps pour Christopher Nolan, avec divers chamboulements et rétro-pédalages, reliant l'action par le montage pour produire une dynamique précieuse, car la force principale de Dunkirk est belle et bien son rythme quasi inintérrompu, le spectaculaire si cher au réalisateur est également présent, mais ici je dirais qu'il se montre davantage habile, comme la fameuse séquence d'amarrage d'Interstellar, mais ici sur environ une bonne heure, force capitalisée. Cette façon d'entremêler les trois actes procure donc son taux d'émotion, mais à choisir je garderais ma préférence pour le point de vue des jeunes soldats où l'aspect survival est souvent mis en valeur par la réalisation, rien que ce sentiment d'enfermement avec la caméra qui se retrouve engloutit dans la cale, juste tétanisant. Côté défaut, l'exploitation du personnage de Kenneth Branagh m'a relativement déçu, soulignant à chaque fois l'arrière plan historique de l'opération Dynamo quand l'action, elle, bat son plein, c'est je trouve toujours ce petit pêché mignon de Nolan pour les dialogues pompeux, donnant même lieu à des parenthèses auréolées à la limite de la caricature ("Qu'est ce que c'est mon commandant ? … La patrie !"), sans compter une partie du final qui relève plus du deus ex machina que d'un réel moment de bravoure héroïque, en tout cas dans la mise en scène.


Pour ce qui est de la promesse sensorielle (voire expérimentale) j'aurais tendance à dire qu'elle aurait pu être poussée un peu plus loin, pour ne se concentrer uniquement que sur son caractère brut, de même pourquoi autant édulcorer la guerre ? Où est le sang ? Hormis les cadavres flottants au rythme de la marrée l'horreur se montre timide, comme si Nolan avait peur de choquer, après je suis d'accord que la terreur (notamment des frappes aériennes) remplie son rôle mais cela pouvait être encore plus percutant de voir par exemple ces jeunes gamins mourir d'une manière horrible, de ressentir leur souffrance, la cruauté du combat. À contrario je trouve intéressant de ne jamais montrer les soldats allemands, pour à la fois rester avec le regard ingénu des britanniques que pour amplifier la puissance implacable de l'ennemi, la scène du chalutier en est symptomatique, où le hors champ constitue une menace en tout point stressante, sollicitant l'instinct de survie des protagonistes et donc ajoutant un enjeu humain supplémentaire (rappelant un tantinet la fin de The Dark Knight). Niveau composition musicale j'ai encore une fois, après celle d'Interstellar, été agréablement surpris par la partition de Hans Zimmer, généralement omniprésente et agaçante dans la majorité des films de son mentor ici elle trouve tout son sens pour faire corps avec l'action par son tempo, tantôt stridente, tantôt placide, la tension est à chaque moment relevée à la perfection.


Pour conclure je noterais que Dunkirk se place comme une pièce majeure de la filmographie de Christopher Nolan, capitalisant les points forts de ses œuvres précédentes tout en marquant un sérieux tournant vis à vis du style qui le caractérise, le contenu est plus épuré, plus sensitif, plus maîtrisé, bien que de temps à autres le naturel revient au galop. Toujours est-il que le réalisateur démontre ici qu'il n'est pas/plus statique en se permettant d'apporter un regard singulier au film de guerre, éloigné d'un registre superflu, peut-être nous surprendra t-il encore à l'avenir, le temps nous le dira. tic tac tic tac

Créée

le 21 juil. 2017

Critique lue 926 fois

38 j'aime

11 commentaires

JimBo Lebowski

Écrit par

Critique lue 926 fois

38
11

D'autres avis sur Dunkerque

Dunkerque
Sergent_Pepper
4

Sinking Private Nolan

Voir Nolan quitter son registre de prédilection depuis presque 15 ans, à savoir le blockbuster SF ou du super-héros, ne pouvait être qu’une bonne nouvelle : un écrin épuré pour une affirmation plus...

le 22 juil. 2017

200 j'aime

37

Dunkerque
guyness
4

Effets de Manche

J'ai pleinement conscience de l'extrême prudence, de la taille des pincettes qu'il me faut utiliser avant de parler sans enthousiasme excessif d'un film de Christopher Nolan, tant ce dernier a...

le 22 juil. 2017

178 j'aime

56

Dunkerque
Halifax
9

La Grande Evasion

La jetée, une semaine La mer, un jour Le ciel, une heure Trois lieux, de multiples histoires, un seul objectif : s'échapper pour survivre. Christopher Nolan ne s'embarrasse pas de contexte. Puisque...

le 18 juil. 2017

160 j'aime

8

Du même critique

Birdman
JimBo_Lebowski
7

Rise Like a Phoenix

Iñárritu est sans aucun doute un réalisateur de talent, il suffit de jeter un œil à sa filmographie, selon moi il n’a jamais fait de mauvais film, de "Babel" à "Biutiful" on passe de l’excellence au...

le 12 févr. 2015

142 j'aime

16

Star Wars - Les Derniers Jedi
JimBo_Lebowski
4

Il suffisait d'une étincelle

Mon ressenti est à la fois complexe et tranché, il y a deux ans je ressortais de la séance du Réveil de la Force avec ce sentiment que le retour tant attendu de la franchise ne pouvait m'avoir déçu,...

le 13 déc. 2017

137 j'aime

18

Taxi Driver
JimBo_Lebowski
10

Le Solitaire

Mon expérience avec Taxi Driver a commencée dans une salle de cinéma de quartier il y a 15 ans, tout jeune lycéen ouvert à l'œuvre des Kubrick, Tarantino, von Trier et autres P.T. Anderson, j’étais...

le 27 oct. 2015

131 j'aime

9