Voir un film au cinéma Le Grand Rex est toujours une expérience, surtout quand il s'agit d'une avant-première. Les gens sont enthousiastes, réagissent durant le film, sifflent, applaudissent, etc (même si ça n'a pas été le cas ici, les gens n'en ont pas eu le temps !). Alors quand Christopher Nolan est présent, ça devient pour beaucoup un petit instant magique de leur vie, tandis que les cinéphiles/cinéastes apprécient de voir un maître parlé de son art. Ce moment a été également un peu nostalgique pour Nolan lui-même puisque le Grand Rex a été la première salle au monde où a été projeté "Memento", le film qui l'a fait connaître et reconnaître.


Quand le présentateur de la soirée à questionner Nolan, il lui a demandé quel a été le travail de balance entre la réalité des évènements historiques et la fiction, étant donné que c'est le premier film du réalisateur à se basé sur des faits Historiques. Nolan a répondu que ce passage de la 2nde guerre mondiale, finalement assez peu connus du grand public en France, était d'une grande importance aux Royaume-Unis et qu'il a cherché le plus possible à rendre l'effet que ce devait être de faire partie de ces soldats et de ces hommes qui ont participé à l'opération Dynamo.


Le film parle donc d'Histoire, mais pour résumé la situation : Mai 1940. La guerre a été déclarée avec l'Angleterre et les allemands avancent très vite. Après la conquête de la Belgique, le Nord de la France est sous le feu des canons. Pour l'état-major anglais, la priorité est d'évacué ses soldats présents sur le territoire français afin de se préparer à repousser l'invasion allemande qu'ils jugent imminente. Dunkerque. Sur les plages, près de 400.000 soldats anglais et français attendent les bateaux qui doivent les emmenés en Angleterre. Une évacuation difficile et trop lente, tandis que les forces allemandes se rapprochent toujours plus. La ville est encerclée, ce n'est plus qu'une question de temps.


Voici les faits Historiques, et voici où le film débute. Est-ce que le métrage respecte l'Histoire avec minutie ? J'en doute fortement, et cela n'a que peu d'importance vu comment le film fonctionne et les intentions de Christopher Nolan. Ce "Dunkerque"-2017 n'est pas un cours d'histoire, c'est une expérience ! Une expérience cinématographique émotionnelle pleine et entière. Alors, serait-ce un remake du film homonyme de 1958 ? Absolument pas. Là où le film de Leslie Norman se veut certainement plus exact avec l'Histoire, la mouture de Nolan joue sur les sensations du spectateur.
Je m'arrête deux secondes sur ce qui fait le cinéma : Si le 7e art est un média si puissant, c'est qu'il a vocation à proposer aux spectateurs, par la qualité de son scénario et de sa mise en scène, de se glisser dans la peau de quelqu'un d'autre et de vivre émotionnellement des expériences qui ne leur serait pas accessible autrement.
C'est la définition même de ce film !


Le ressenti émotionnel est juste immense ! Tout a été fait pour rendre l'expérience prenante et intense. Depuis la première minute jusqu'à la dernière, le spectateur est collé à son siège et vit littéralement l'horreur de cette bataille comme si il était avec les personnages. Mais là où Nolan fait des prouesses, c'est avec la tension ressenti par le public. Ce n'est plus à prouver, le réalisateur sait y faire quand il s'agit d'amener de la tension (cf toute sa filmographie). Ici, Nolan va plus loin en faisant de la tension le point central du film. Toute la structure est bâtie et conçue afin de maintenir le spectateur dans un état de tension constant et crescendo.


Cela fait de "Dunkerque" non pas un film de guerre, mais un survival qui a pour toile de fond la guerre. Il n'est question que de lutte pour la survie, pas de combats contre l'ennemi (en tous cas, pas au sens stricte du terme). De fait, on ne voit quasiment jamais les allemands. Nolan a utilisé avec brio la technique du hors-champs, voire même du hors-film, afin de faire de l'armée allemande une menace écrasante et omniprésente, tout en évitant le plus possible son apparition à l'écran. Cet effet rend la menace plus abstraite mais aussi plus universelle et plus efficace. De fait, par extension de la menace allemande, le plus grand ennemi affronté ici est le temps. C'est une véritable course contre la montre, menée d'une main de maître par Christopher Nolan qui impose un rythme effréné où le spectateur n'a pas le temps de souffler face à un enchaînement de rebondissements dont la fluidité tient de la prouesse.


Avec ces multiples péripéties, Nolan emprunte aux codes de l'horreur, également par sa mise en scène de la peur qui transparait chez le public ; et une représentation plus visuelle et brutale de la mort aurait suffi à le faire vraiment basculer dans l'épouvante. Même la musique va dans ce sens. Souvent très discrète, elle se montre lancinante et oppressive, et au temps fort digne des meilleurs compositions d'épouvante. Accompagnant la tension, elle sait très souvent se faire oublier pour faire place à une autre ambiance oppressante : un tic-tac d'horlogerie. Ce bruitage omniprésent, d'abord lent et régulier accélère au fil des actions, pour ajouter encore de la pression.
Dans l'ensemble du film, le travail sur le son est excellent. Le film est assourdissant, dans tous les sens du terme. Dès le départ du film, le son des fusillades est très fort, envahissant. Les basses font trembler les fauteuils et le ressenti des spectateurs en est décuplé. Chaque balle tirée, chaque mouvement d'avion, chaque manœuvre de bateau, chaque mouvement du corps est bruité de manière quelques peu exagéré afin que le spectateur fasse plus que l'entendre, mais le ressente.


Tout cela au service de l'histoire. Alors "Dunkerque" est un film parfait ?
À la sortie de la salle, lorsque un ami m'a demandé mon avis sur le film, si celui-ci était très bien ou un chef d'œuvre ; je lui ai dit : «Je dirais bien chef d'œuvre, mais ce n'est pas si simple».


Le film a quand-même un gros problème selon moi : la narration. Le choix de Nolan a été de privilégier l'expérience et la tension à l'histoire. Donc, celle-ci n'est pas très présente et elle n'a qu'une importance diminuée. Le film débute directement dans l'action et sur la plage, et le spectateur est tout de suite pris dans l'action. Mais beaucoup plus que ça, la narration est éclatée ! Ainsi, pour privilégier la tension sans temps mort, l'histoire est morcelée en axes narratifs suivant chacun des protagonistes et les temps forts de chaque axe se suivent, mais sans tenir compte de la chronologie ! Ainsi, alors que l'action entière du film se déroule sur grosso modo 2 jours, il est fréquent de passer du premier jour pour suivre un protagoniste, puis de passer au jour suivant pour en suivre un autre, puis de passer au soir, etc… On pourrait se demander pourquoi Nolan a choisi une telle narration alors que la majorité de ses films précédents étaient linéaire. C'en est oublié que le monsieur à fait Memento !


C'est très déroutant au début, et du peu de commentaires que j'ai glané à la sortie du cinéma, ça en a désorienté plus d'un. Cependant, une fois qu'on a compris et qu'on accepte de se laisser porter non pas par l'histoire mais par la tension et l'expérience émotionnelle qu'elle engendre, on en vient à oublier l'histoire. Au moins jusqu’à la fin du film qui fait se rejoindre tous les axes narratifs et où l'histoire, redevenue maitresse du film, peut se lâchée sans pour autant être lourde.
Un autre défaut que je reproche au film est aussi un point fort : être directement plongé dans l'action. Le film s'ouvre sur une succession de cartons qui expliquent en 4 courtes phrases la situation de la guerre et de l'armée, entremêlé de quelques plans calmes. Puis l'action arrive brutalement et on arrive directement sur la plage. Étant donné le style narratif du film, c'est tout à fait pertinent et justifié de démarré l'action le plus tôt ; mais le spectateur est en manque d'histoire. D'autant plus que celle-ci est peu présente et éclatée, elle aurait mérité une plus ample présentation qui aurait, selon moi, contenté le spectateur qui aurait alors mieux compris la situation et donc aurait pu oublier l'histoire avec plus de facilité pour mieux profiter de la tension.


Cependant, ce choix est très largement justifié par la narration ; doublement justifié puisqu'il y a un autre intérêt : la désorientation. En effet cette absence voulue d'histoire amène un manque de confort du spectateur qui a l'habitude d'histoire posée. Par la suite, les effets sonores assourdissants, la musique oppressante, les choix des plans qui sont souvent à l'épaule et désaxés, et la photo grisâtre ; tous ces effet n'ont qu'un seul but : déboussolé le spectateur afin de lui faire ressentir ce que les personnages vivent.


Et cela n'est possible que grâce au jeu des acteurs qui est très bon, et surtout très discret. Il n'y a ici pas de performance hors norme comme nous avait si brillamment livré Heath Ledger dans "The Dark Knight", il y a au contraire une prédominance des silences et du jeu par les regards et les attitudes. Ainsi, ce qui est mis en avant chez ces personnages, c'est leur conflit intérieur, entre honneur et survie. Un excellent exemple qui encore une fois favorise l'immersion et la tension.


Vous l'aurez compris, et Christopher Nolan l'a rappelé lors de son intervention de cette avant-première : le maître mot du film est l'immersion. Le public est embarqué dans l'opération avec les soldats, les pilotes et les civils volontaires. On peut d'ailleurs y voir un côté film hommage, rendant grâce à tous ceux qui ont participé à cette opération miraculeuse. Le film évite pour autant le piège cliché d'en faire des héros, et la fin du film le prouve bien en allant jusqu'à poser la question de la nature de l'héroïsme, et fait se rencontrer la problématique usuelle du survival (égoïsme contre bravoure) avec les problématiques des films de guerre. Comme à son habitude, Nolan nous livre une œuvre tout autant divertissante qu'intelligente, mais l'expérience émotionnelle qu'elle nous propose va au-delà des attentes et rend ce film extraordinaire. Pas parfait, certes, mais il n'est pas difficile de passer outre ces défauts pour pouvoir pleinement apprécier une véritable expérience de cinéma.


À voir absolument.

Lukeskyforges
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le 18 juil. 2017

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Lukeskyforges

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