Depuis la découverte de son premier long-métrage ("Following" en 1998), le réalisateur Christopher Nolan suscite, à chaque nouveau film, une certaine curiosité à la fois de la part des cinéphiles mais aussi d'une bonne partie du grand public; chose de plus en plus rare de nos jours, à quelques exceptions près (Spielberg, Tarantino, Burton, les frères Coen).
Vénéré par certains, rejeté par d'autres qui le trouvent trop surestimé ou trop surfait, le cas Nolan n'en finit pas de diviser. Cela dit, une chose est certaine : il est doué; preuve en est qu'il suscite de l'intérêt auprès de tous les types de publics.
En un peu plus de 15 ans de carrière au sein de la grosse machinerie hollywoodienne, le cinéaste d'origine britannique demeure l'un des derniers cas de figure à réussir à combiner à la fois grand spectacle et thématiques plus réflexives, une oeuvre quelque peu à part donc, à mi-chemin entre le cinéma d'auteur et le cinéma de divertissement, le tout avec une liberté artistique quasi exclusive, chose de plus en rarissime dans un Hollywood de plus en plus castrateur avec ses metteurs en scène.
C'est donc dire si le nouveau bébé de l'homme qui a offert à Batman son chef d'oeuvre ("The Dark Knight"), qui a fait voyager Léonardo DiCaprio et Marion Cotillard à la frontière entre le rêve et la réalité ("Inception") ou encore fait promener dans l'espace Mathew McConnaughey dans le but de sauver l'humanité ("Interstellar") était attendu au tournant.


Bref, maintenant que "Dunkerque" est sorti, avec comme souvent chez Nolan des critiques à la fois élogieuse ("Chef d'oeuvre", "grand film", "de l'immense cinéma") et d'autres plus rudes ("du cinéma de genre trop lisse pour convaincre", "film trop surestimé"), que vaut-il véritablement ?
Eh bien... Sans être le meilleur film de Nolan et encore moins "un immense film de cinéma", on peut dire que "Dunkerque", dans l'ensemble, se révèle être plutôt bon, à défaut d'être inoubliable.


Le premier constat que l'on peut faire est que l'on reconnaît bien la patte Nolan (si, si, il y en a bien une), à travers à cette obsession qu'il a de faire du réalisme à tout prix, que ce soit à travers la photographie de son film (somptueuse), mais aussi les décors, les accessoires et même les plans. Chez Nolan, c'est la logique du plan qui importe (si un comédien est filmé derrière les barreaux d'une fenêtre ou dans l'embrasure d'une porte, c'est par souci de logique dans la mise en scène et non pas pour symboliser une quelconque métaphore de cinéma); logique du plan qui, dans le cas de "Dunkerque", trouve tout son sens dans la mesure où le film raconte une histoire réelle, qui s'est vraiment passée, en période de seconde guerre mondiale.
Ainsi, tout ce que font les personnages de "Dunkerque" (se battre, s'enfuir, courir pour échapper aux avions ennemis) relève de la logique pure, ce qui fait donc que Nolan pousse son souci de réalisme à l'extrême, insistant même (via les plans rapprochés et les gros plans) sur la manière dont ils font les choses, avec leurs mains, leurs bras, leur visages, etc. Ce parti-pris esthétique que l'on peut franchement qualifier de radical parvient cependant à éviter (et c'est là son point fort) le style documentaire du fait que (autre grande caractéristique du style Nolan qui sera dévoilé ici plus bas) les personnages dépendent du scénario et lui sont entièrement soumis.


Comme dit plus haut, le scénario est l'élément charnière du cinéma de Nolan qui, de film en film, ne cesse d'occuper de plus en plus d'espace. Ecrit le plus souvent en compagnie de son frère Jonathan, ceux-ci sont respectés et filmés à la virgule près, Nolan ne cessant de rappeler que, selon lui, "la narration demeure l'élément fondamental par excellence d'un film dans la mesure où l'on peut la fragmenter, la diviser et même la réinterpréter"; expérimentation qu'il s'est déjà amusé à faire avec "Memento", "Batman Begins", "Le Prestige" et de manière on ne peut plus explicite, dans "Inception".
Si cette méthode se révèle être on ne peut plus classique (elle n'influe aucunement sur l'aspect technique du film), elle est aussi très efficace, du fait qu'elle permet de tenir le spectateur en haleine en jouant notamment sur le motif du suspense, que Nolan utilise également pour dévoiler sa dette envers l'une de ses idoles, le maître Alfred Hitchcock.
Structuré tel du papier millimétré, racontant toujours quelque chose y compris dans ses détails a priori les plus insignifiants, les scénarios de Nolan sont pour la plupart des modèles de narration et de précision. Pratiquement tous les éléments narratifs (personnages, actions, décors, costumes) sont détaillés et présentés avec une précision du détail quasi maladive; le film étant lui-même réaliste dans sa manière de conter un fait historique véridique.


Le temps, autre élément-phare de la filmographie du cinéaste, trouve aussi tout son sens avec "Dunkerke". Le temps qui détruit tout ("Memento", la trilogie "Dark Knight", "Le Prestige", "Inception", "Interstellar"), et que l'on cesse de vouloir retravailler à sa guise pour mieux le remettre en place ("Memento", "Batman Begins", "Le Prestige", "Inception") est exploité sous tout ses aspects dans "Dunkerque". Filmé sous plusieurs formes (une semaine, un jour, une heure), il est celui par lequel l'horreur arrive (la débâcle des troupes françaises et anglaises) et qui permet aussi à l'espoir de se manifester (l'armée de l'air, un père accompagné de son fils et son ami qui se lancent à la rescousse des soldats alliés pris au piège).
Pour mieux accentuer l'impact du temps sur les émotions des personnages et (une fois encore) sur le déroulement du scénario, Nolan choisit de filmer en tenant compte (presque) uniquement des éléments de sens, à savoir le son (celui des avions, des armes de guerre, des bateaux) et le silence dont font preuve l'ensemble des protagonistes du films (comme l'ont déjà soulignés plusieurs autres critiques, le film comporte effectivement assez peu de dialogues).


"Le temps comme seul et unique témoin des actes accomplis par les hommes que ce soit en bien ou en mal", tel semble être le leitmotiv récurrent de la filmographie de Nolan depuis ses débuts. Le fait que, dans ce cas-ci, il ait choisit d'appliquer cette doctrine à un film réel (car traitant d'un fait historique) montre à quel point le cinéaste s'intéresse l'impact du temps sur toutes choses, réelles, historique, fantastiques, violentes ou autres.


"L'homme en proie au doute, partagé entre son devoir de bien faire et sa part d'ombre" ; autre constat récurrent des films de Nolan que l'on retrouve à nouveau ici dans "Dunkerque". Que ce soient Bruce Wayne partagé entre sa volonté de bâtir un avenir meilleur pour Gotham City et sa volonté, de plus en plus radical, de faire régner la justice à tout prix sous les traits masqués de Batman, Dom Cobb tiraillé par sa volonté de retrouver à tout prix ses enfants et de tenir sa femme décédée en vie, les magiciens Robert Angier et Alfred Borden désirant se surpasser l'un l'autre au risque de détruire tout ce qui leur est proche (familles,amitiés) ou encore le cas plus part particulier de Léonard Shelby qui à force de perdre la mémoire à chaque instant de sa vie finit par ne plus savoir où il en est; TOUS les personnages de Nolan sont des individus "border-line", au bord de l'impasse psychologique, dépassé par les conséquences de leurs actes, ce que confirme le personnage interprété par Cillian Murphy dans "Dunkerque" (on n'en dira pas plus).


Autre élément de qualité du film, c'est l'interprétation. Une fois encore, histoire d'accentuer encore un peu plus le réalisme de son film, Nolan a choisit de recruter deux sortes de comédiens : d'un côté, des très jeunes (Fionn Whitehead, Tom Glynn-Carney, Harry Styles, Jack Lowden) et de l'autre, des plus expérimentés, âgés et connus sans pour autant être des stars (Kenneth Branagh, Cillian Murphy, Tom Hardy), manière de faciliter le rapport au spectateur et de rendre encore plus crédible ce qui se déroule à l'écran.


Réflexion faite, ce "nouveau Nolan" se révèle être un film de bonne facture, loin d'être la claque annoncée par certains et certainement pas LE film de l'année, mais intéressant et passionnant dans la manière très fine de traiter son sujet délicat (rarement l'utilisation du son et du silence au cinéma n'aura été si subtile) et dans la volonté de Christopher Nolan d'aller toujours plus loin dans sa vision du réalisme au cinéma qu'il prend visiblement plaisir à expérimenter dans tous les genres : le thriller, le film de super héros, le film de science-fiction et maintenant le film de guerre.


Cela étant, on pourra toutefois reprocher à Nolan une esthétique un peu trop froide, des personnages parfois abandonnés en bout de course et une volonté parfois un peu trop "tape à l'oeil" de faire compliqué pour faire compliqué, chose que l'on pouvait déjà reprocher à "Inception", à savoir rendre un scénario complexe (mais pas incompréhensible) inutilement alambiqué à force de vouloir toujours en faire plus.


Quoiqu'il en soit, si l'envie vous prend d'aller voir "Dunkerque", alors laissez-vous tenter, ne fut-ce que pour vivre une expérience de cinéma un peu différente.

f_bruwier_hotmail_be
7

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Créée

le 31 juil. 2017

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