DE BEAUX MENSONGES

Heureusement que la guerre est une chose horrible...sinon nous pourrions l'apprécier. Robert Lee-1862

A chaque sortie sur les grands écrans d'un nouveau film de Christopher Nolan, je ne peux m'empêcher de déceler une certaine tension ambiante...Tension sans doute provoquée par les fans en expectation (dont je fais parti) et les détracteurs, agacés par l'excitation des premiers. Aucuns réalisateurs (il me semble) n'aura autant séparé la foule et les avis, à ce point.
Nolan étant le genre d'homme qui se trouve toujours là où on ne l'attend pas.

Pour son nouveau film, il se déroule au début de la seconde guerre mondiale, entre les mois de mai et juin 1940, ayant pour cadre Dunkerque. C'est ici que face à l'inexorable progression des troupes allemandes, 400'000 soldats britanniques, canadiens,français et belges se retrouvent acculés sur les plages de la ville où ils attendent dans l'angoisse, d'éventuels secours. C'est alors qu'est mis en place, l'Opération Dynamo qui est chargé d'évacuer le CEB (corps expéditionnaire britannique). Viendront se joindre à cette opération, plusieurs centaine de civils britanniques munis de leurs propres embarcations (bateaux marchands,de plaisance,de pêche etc.) dans le but de secourir le reste des troupes.

L'histoire elle, est divisée en trois segments, ayant chacun sa propre unité de temps, nous donnant trois points de vue:
1) La jetée: Point de vue terrestre se déroulant sur une semaine, où l'on suit un jeune soldat anglais, qui essaie de trouver avec d'autres compatriotes,une embarcation capable de les ramener au pays.
2) La mer: Point de vue maritime se déroulant sur une journée, où trois civils (un père, son fils et un ami) naviguent sur un bateau de plaisance, se dirigeant vers Dunkerque dans le but de secourir des vies.
3) Le ciel: Point de vue aérien se déroulant sur une heure, où trois pilotes britanniques survolent la manche prêts à intercepter d'éventuels adversaires qui pourraient mettre en danger la flottille anglaise.
Trois histoires qui finiront par se rejoindre dans un final intense et éblouissant.

Le projet de Dunkerque voit le jour, il y a 25 ans. Alors qu'il vient de réaliser son premier long métrage Following, Christopher Nolan et sa future épouse Emma Thomas, s'accorde une petite virée maritime vers les côtes de Dunkerque. Passionné d'histoire,le jeune réalisateur se dit qu'il tient là, un nouveau sujet filmique. Il en résultera un scénario d'environ 70 pages. Cependant, se jugeant beaucoup trop inexpérimenté face à l'ampleur du projet, Nolan mettra de côté son scénario qui sommeillera au fond du tiroir, jusqu'en 2015 où finalement le réalisateur annoncera la mise en chantier du projet. Suite à cette annonce, les avis allaient pulluler sur les nombreux forums spécialisés.Il me revint même (en écrivant ces lignes) une remarque qu'avait posté un petit malin, mentionnant que: " Quand un réalisateur est en manque d'imagination et de sujet, il se tourne forcément vers la seconde guerre mondiale"...Le seul problème, c'est que Dunkerque n'est pas qu'un simple film de guerre; Christopher Nolan se trouvant une fois de plus...là où on ne l'attend pas.

Je dois avouer que les extraits de Dunkerque, ne m'ont pas plus emballé que ça. J'ai même commencé a éprouver de l'impatience au bout de la première demie heure du film. Heureusement, la suite me fit comprendre à quel point je me trompais...
En ce qui me concerne, Dunkerque est un des meilleurs films de Nolan, du point de vue de la mise en scène et des choix radicaux et audacieux se situant de manière extrêmement subtile, tout au long de l'oeuvre. Radicalisme des partis pris nécessaire face à la gageure du projet et de son approche. En effet, comment réaliser un énième film de guerre et qu'apporter de plus à un sujet abordé auparavant, par plusieurs excellents réalisateurs tel que Coppola, Kubrick, Spielberg, Verhoeven etc.
Très simple...en allant à contre courant.

Comme je l'ai mentionné plus haut, dans Dunkerque, le sujet de guerre n'est qu'un prétexte pour Christopher Nolan qui vise surtout une action immédiate et viscérale, délaissant toute images de synthèse et tout formalisme narratif superficiel, faisant de son film un puissant exercice de style et une intense expérience immersive pour les spectateurs. Du cinéma à l'état PURE !!
Pure, car le réalisateur revient au principes les plus basiques du 7éme art que sont: la position de la caméra, le cadrage, le découpage de l'histoire, le montage (art dans lequel il excelle)et bien sûr...le son. Principes basiques (excepté le son) qui nous renvois aux prémices du cinéma, antérieur aux films de Chaplin.
Nolan citant Eisenstein, Von Stroheim et Murnau, comme références matricielles pour Dunkerque.

Mais l'audace de Nolan ne s'arrête pas là. Il va jusqu'à épurer son film au maximum, en minimisant toutes formules liées au genre: L'histoire est surprenante en simplicité, il n'y a quasiment pas de dialogues, les décors se limitent à une plage,la mer et le ciel, aucun des personnages n'est développé (à part leurs patronymes, on ne saura rien d'eux), l'ennemie n'est jamais montré mais suggéré, il n'y a aucun personnage féminin ( Nolan voulant sans doute éviter tout sentimentalisme larmoyant à la Pearl Harbor, dans le but d'extraire une unique émotion: la terreur)...même la bande son du compositeur Hans Zimmer, se voit limitée à un travail sonore sensé appuyer les sentiments d'angoisse et de malaise.

Bref, Nolan met tout en oeuvre pour nous éprouver et nous oppresser. Oppression latente que l'on perçoit (comme les protagonistes) dans les moindres recoins du film et à différent niveaux; qu'elle soit à grande échelle (segment de la jetée), qu'elle soit intimiste (segment de la mer, qui n'est pas sans rappeler Un couteau dans l'eau de Polanski) ou qu'elle soit claustrophobe (segment du ciel, où l'espace vitale des pilotes se limite à leurs cockpits).
Choix radicaux qui distance Nolan de ses prestigieux confrères et également de ses oeuvres précédentes.

Depuis une vingtaine d'années, alors que le cinéma continue à s'enliser en proposant des histoires redondantes, des remakes à la pelle, des genres surexploités (les super-héros), des placements de produits (Tansformers, Teenage Mutant NinjaTurtles), des films dépourvus d'âme qui ressemblent de plus en plus à des jeux vidéos... Christopher Nolan continue sa lancée, divisant les uns et les autres, en proposant des films aussi originaux qu'essentiels...Des films honnêtes qui ironiquement, me remémore la réponse du grand Alfred Hitchcok à la question suivante: "Quel est le secret pour être un excellent réalisateur?"
"Être un excellent menteur !!" répondait Hitchcock.

Que de beaux mensonges, Christopher Nolan nous livre là.