C'est un sentiment qu'il est parfois bon de retrouver. Les vieux films. Leur côté verbeux et désuet, leur dramaturgie bien moins rodée que celle du cinéma actuel. Mais leur manière, derrière, de nous renvoyer à une forme de réalité, de nous dire qu'un être humain a conçu une histoire, qu'il s'est associé à d'autres professionnels pour la réaliser et, au fond, pour s'adresser à nous.


William Wellman est à mon sens un réalisateur atypique, qui mériterait d'être mieux connu. Il manque un livre sur lui en français. C'était un chien fou passionné, qui a rapporté de la Première Guerre Mondiale, où il servait dans l'escadrille Lafayette, deux traits marquants : le goût de l'aviation et une certaine sensibilité européenne, qui transparaît dans certains de ses films. Il faut voir Les mendiants de la vie, qui préfigure de quelques années la crise de 1929, avec une esthétique presque expressionniste par moments. Ou encore Au-delà du Missouri, une des visions les plus cosmopolites et humanistes de la conquête de l'Ouest (et plus guillerette que celle d'un Cimino). Et qui a vu Wings ne peut qu'être ahuri devant l'aspect vertigineux des prises de vues aériennes.


Bref, j'aime Wellman et j'aime les avions. Je ne serai pas objectif.


Si vous avez lu le pitch et que vous vous attendez à un film-catastrophe survolté, avec des retournements de situation toutes les cinq minutes, mieux vaut passer votre chemin. Il y a bien sûr des impondérables, mais au fond, la structure de ce film est plutôt celle d'un épisode de La croisière s'amuse. Vous savez, cette idée que des personnages vont arriver à bord avec des problèmes personnels, et vont repartir transformés. Le personnage de John Wayne lui-même n'est pas central et n'est pas tant que ça héroïsé, c'est juste un professionnel qui ne perd pas son sang-froid, sans chercher à se prouver des choses. Comme un vrai pilote, quoi. Sa seule action un peu singulière est de s'opposer à son commandant de bord, qui gamberge, et à lui coller une paire de baffes pour lui remettre les idées en place.


Non, à l'aune du film-catastrophe, Ecrit dans le ciel est un film très téléphoné, manquant de rythme : l'exposition des personnages dure plus d'une heure, les scènes d'extérieur de l'avion ont été faites à partir d'une maquette, il n'y a pas énormément de retournements de situation, on a plutôt l'impression de suivre la procédure normale. Et les confidences des personnages les uns aux autres, ou leurs flashbacks intempestifs, font aujourd'hui sourire tout spectateur qui connaît Y'a-t-il un pilote dans l'avion ?


Au reste, il est vrai que l'exposition des personnages n'est pas toujours des plus habiles, que le film a visiblement été largement tourné en studio. Il n'empêche, cela reste du cinéma. Un cinéma encore ouvert, pas encore enfermé dans un genre. Un cinéma qui respire comme celui de D. W. Griffith, dont Wellman était un des héritiers.


Comme toujours chez Wellman, il y a beaucoup de petites scènes véristes / humoristiques / touchantes, comme l'élégante déplorant de jeter son manteau de fourrure. Et cette belle scène où l'ancienne reine de beauté se démaquille, en se disant qu'elle ne veut plus mentir à son amoureux épistolaire qui rêve de la rencontrer. Ou encore cette scène où le présentateur télé cynique se découvre altruiste, sans le savoir, et a une discussion à ce sujet avec sa femme. Toutes ces scènes, très dialoguées, peuvent donner une impression de pathos qui ralentit le rythme. Mais est-il vraiment question de cela ? Il y a très peu de scènes d'action : même les turbulences sont représentées surtout par métonymie (des tasses qui tremblent), mais n'est-ce pas comme ça dans la vraie vie ? Ce n'est pas mal joué, on se laisse prendre pour peu qu'on ne regarde pas avec nos standards.


Ha, et notons que le sauvetage (même s'il ne sera pas nécessaire) est déclenché grâce à un radio-amateur mexicain sur un bateau. Toujours l'ouverture de Wellman aux autres peuples. C'est sans doute le moins américano-centré de tous les réalisateurs d'Hollywood. Une sorte d'anti-Ford (en étant un peu dur). En cela, un vrai Américain.


Le film est en couleur et en Cinémascope,. Wellman voulait par là faire un contraste entre les grands espaces du ciel et le confinement des passagers, mais les rares (très beaux) plans de l'avion en extérieur et en prise réelle sont surtout au début, la suite du film se passant de nuit, par temps de tempête. Comme dans Track of the cat, une idée de mise en scène originale ne rend sans doute pas autant que dans la tête de son réalisateur. Mais il a essayé.


(A noter qu'on fume comme on veut dans ces vieux avions).


Le dénouement est particulièrement anticlimactic : les gens sont pressés de rentrer chez eux, le personnel de bord ne se jète pas non plus dans les bras les uns des autres. ça a quelque chose de profondément vrai et émouvant.


Voilà, j'avais dit que je ne serais pas objectif. Mais si cette critique a pu au moins vous décider, à défaut de voir ce film, de vous intéresser un peu à un réalisateur qui m'est cher, William Wellman, j'aurai fait ma part.


Synopsis : Whistling Dan est un copilote qui a abandonné une brillante carrière après un accident où tous les passagers sont morts. Il participe au vol Honolulu-San Francisco. A l'intérieur, les passagers : le couple Joseph, enjoué, M. , taciturne, la belle Sally McKea, un présentateur vedette, Pardee, un homme d'affaire, Childs, la Coréenne Dorothy Chen, un père qui accompagne son fils Tobey, un coureur de dot et sa riche épouse, Locota, un gentil pêcheur, un riche hémiplégique et sa femme, un jeune couple en lune de miel. Et Agnew, un vendeur de faux médicaments, qui arrive au dernier moment pour essayer de démarcher Childs. On découvre aussi Flaherty, un scientifique militaire qui a voulu se réfugier dans les arts. Pour détendre l'atmosphère M. Joseph raconte les vacances catastrophiques qu'il a passées à Hawaï.
Passé le point de non-retour, Agnew essaie de tuer Childs, dont il croit être le cocu. Surtout, un des moteurs s'enflamme et San Francisco n'est pas joignable à cause de la météo.


Le radio arrive à contacter un bateau radio-amateur, qui contacte SF. La US Coast Guard envoie un avion. Dan explique la situation aux passagers, qui font la chaîne pour jeter les bagages. Le cartographe pense qu'ils sont à 11 mn de la côte, mais avec la pression, il a fait une erreur de débutant. Le commandant, dépassé, refuse de réduire les gaz pour économiser le carburant, aggravant le risque d'amérissage. Dan lui en colle une. L'avion regagne de l'altitude, suffisamment pour atteindre la côte grâce à un vent providentiel. L'ancien pilote de coucous a eu raison de risquer le coup. Les passagers atterrissent sains et saufs. Leur vie a changé.

zardoz6704
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le 7 août 2018

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