Une étoile est nez (Pièce: 9, film: 7. Moyenne des deux: 8)

On connaît à l’écran de célèbres moustaches, plutôt Rochefort, plutôt Charlot ; on connaît de célèbres tirades, plutôt Audiard, plutôt Prévert ; mais qu’en était-il du nez le plus célèbre du théâtre français ? On en connaissait le nom, celui de son propriétaire, mais imaginait-on un jour connaître son histoire ? Edmond, ce n’est pas l’histoire de ce nez si… grand, c’est une fiction, que dis-je une fiction, une légende, sur ce légendaire nez ! A la façon de Rostand même, Alexis Michalik réinvente un personnage historique : l’auteur du plus grand chef-d’œuvre français jamais joué au théâtre ! Car le vrai Cyrano de Bergerac n’avait pas forcément de grand nez, ce poète épicurien peu connu était sans doute moins batailleur… Rostand en a fait un mythe. Edmond Rostand n’était pas si pressé, n’était pas si embarrassé pour monter sa pièce… Michalik en a fait un mythe. Le principe est très simple. A la manière de Shakespeare in love, qui en est un modèle d’ailleurs revendiqué par le réalisateur de cette comédie qui fait du bien, Edmond met en scène des questions de cinéma en parlant de théâtre.
La pièce de théâtre était fabuleuse dans sa mise en scène, tout allait très vite, le décor changeait rapidement, la lumière brillait et baissait en quelques secondes, on passait de l’euphorie de la vie publique à l’intimité de l’inspiration d’Edmond en un clin d’œil. Le film, de ce point de vue, n’est pas si frappant. L’histoire, globalement, est la même, quelques différences se font quand-même jour entre les deux idées originales. Pourquoi ai-je préféré la pièce ? Parce qu’elle utilise de façon splendide l’espace réduit qui lui est donné : une scène rectangulaire et des décors menus. Pourquoi est-il bien de voir le film ? Parce qu’il fait du bien et qu’il est moins onéreux ! Parce qu’on se plaît devant des plans sympathiques, pouvant parfois même faire penser à des tableaux du XIXème siècle. Parce qu’on est surpris (je ne dévoilerais rien de ce côté-là pour ne décevoir personne). Je préfère l'Edmond de la pièce (acteur) que celui du film, qui me paraît très joufflu (mais pas moins sympathique). Les autres acteurs ne sont ni transcendants ni mauvais: ils sont bons et justes, dans l'idée de faire une pièce de boulevard (c'est aussi sans doute un objectif de la part du réalisateur/metteur en scène). Faire une pièce comme on en faisait à l'époque (d'où les personnages russes)... une pièce, ironiquement, à la Feydeau (comprendra qui pourra!).
Après, je précise tout de même que l’objectivité de mon avis risque d’être biaisé par le fait que la personne d’Edmond Rostand me fascine, que je l’admire d’amour quasiment, encore plus que Cyrano, et que je trouve injuste qu’il soit si peu connu. Si Alexis Michalik l’a dit, Cyrano a dépassé son père, comme Pinocchio a dépassé Gepetto dans la culture mondiale, il est intéressant un jour de revenir à la base, à Pygmalion plutôt qu’à sa Galathée. Edmond ! Edmond ! Edmond ! Son caractère, lui, est conservé dans l’histoire. Si le temps est raccourci, si des sources d’inspirations sont certainement inventées, il est sûr que le vrai a tout de même une part, c’est l’arrière-plan de l’intrigue. Voilà ! Si vous êtes à Paris ou y passez un jour, n’hésitez pas à vous rendre au théâtre pour découvrir ce petit trésor… et si vous n’avez que deux heures, allez au cinéma, parce que c’est l’hiver et qu’on a besoin de réconfort, et qu’Edmond Rostand a ce réconfort, cet amour, cet humour qui réchauffe les cœurs.

Alfred_Babouche
8
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le 10 janv. 2019

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Alfred_Babouche

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