C’est pas beau de vieillir… Un titre d’article déjà utilisé pour le décevant Place publique de Jaoui/Bacri. Comme eux, le couple Kervern/Delépine fut drôle à ses débuts. Louise-Michel, Mammuth faisaient preuve d’un ton grinçant, libertaire, audacieux, qui tranchait dans le paysage du cinéma français. Le grand soir montrait déjà des signes d’essoufflement mais conservait un petit vent de folie sympathique. Avec Saint Amour, ce sont les moments de grâce qui devenaient l’exception.


L’humour de Effacer l’historique est franchement poussif. Je contemple avec consternation la scène de la voisine qui vend ses meubles, celle de Marie qui fête l’anniversaire de son fils devant des chaises vides, suivie de la latte qui tombe sans cesse. Le fils est un superbe cliché, tête à claques droguée aux marques et aux jeux vidéos, qui choisit d’habiter chez son père juste pour avoir les dernières Nike. Déjà vu. Plus drôle.


Côté Bertrand, pas mieux, on a droit au père qui se met en quatre pour sa fille indifférente (décidément les jeunes ne sont pas gâtés), et qui s’éprend d’une voix suave au téléphone.


Enfin, Christine, le troisième personnage, permet une critique de l’ubérisation de la société. Du Ken Loach façon comique - ou du moins qui cherche à l’être.


Au passage, on aura droit à l’enfer administratif, comme dans Mammuth, cette fois côté boîte privée (Marie qui se précipite sur son téléphone après un long temps d’attente) sans oublier pour autant le service public (Bertrand obligé de faire 50 km pour récupérer une lettre recommandée). On raccroche sur les gilets jaunes, auxquels on apporte sa caution, comme il se doit.


Tout cela donne un objet gentiment consensuel. Le duo Delépine/Kervern a perdu tout mordant, il ne surprend plus. Quelques gags font sourire de temps en temps : le jeune qui lit un livre sur « comment bien choisir son portable », même si c’est encore un cliché sur la jeunesse ; la latte qui est coincée au canal de Suez ; la réplique « I want my pussy back » de Marie ; le traducteur qui répète « oh là là », même si le gag est trop longuement exploité. D’autres font lever les yeux au ciel : le tapis rouge à la sortie du taxi ;« Dieu » dans une éolienne ; le portable collé à l’oreille par du sperme... c'est pour choquer, c'est ça ? Oui je dirais que ce gag-là exprime bien la tonalité globale du film et de son humour : poussif et forcé.


Sur la fin, ça s’aggrave car le film sombre dans les bons sentiments. Marie qui dit « je t’aime » dans un pot de yaourt à son fils, Bertrand qui découvre qu’on est bien plus heureux sans toute cette technologie. Digne d'un blockbuster américain.


Le trio d’acteurs ne permet jamais à la sauce de prendre. Passer du stand up à l’actrice n’est pas chose aisée, Blanche Gardin le confirme ici. Elle s’est construit un personnage très percutant en tant qu’humoriste, débitant des obscénités avec flegme, mais faire exister un personnage est une autre affaire. Podalydès n’est pas un acteur très drôle et, après le médiocre La belle époque, il semble sur une mauvaise pente. Idem pour Corine Masiero. Comme d’habitude, Delépine et Kervern font défiler tous leurs copains dans des petits rôles : Vincent Lacoste, Benoît Poelevoorde, Jean Dujardin (que je n’ai même pas remarqué !), Bouli Lanners, Michel Houellebecq. Ne manque que Depardieu et Dupontel, tiens. Ils ne devaient pas être dispos.


Mais il nous faut en venir au pire : l’absence totale de mise en scène et de qualité plastique. Saint Amour offrait encore quelques situations bien pensées, drôles par la grâce de la mise en scène. Ici, on se demande si un seul plan a été construit (d'après une critique lue sur SC il semble que oui, à deux reprises : je suis passé à côté). L’image est laide, du début à la fin, le summum étant atteint lorsque Marie approche du Data Center. Question poésie, on est au JT de 20h. Certes, le duo Delépine/Kervern n’a jamais été styliste, et je ne m’attendais pas à être foudroyé par la beauté des images en entrant dans la salle. Tout de même, le grain de l’image de Mammuth avait quelque chose de moins banal. Résultat : l'échappée "grolandienne" si caractéristique du duo (on la trouve dans Louise-Michel, dans Mammouth...) tourne ici en eau de boudin. Ah, c’est pas beau de vieillir décidément.


Allez, soyons positif, en prenant mon ticket j’ai au moins, avec cinq ou six autres spectateurs présents, soutenu le réseau des salles de cinéma Art et Essai. Même si ce film-là n’a rien à y faire.

Jduvi
5
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le 5 sept. 2020

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Jduvi

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