Dans ce contexte d’élections, rien de tel qu’un petit thriller politique survitaminé pour se mettre en appétit ou digérer (c'est au choix). El Reino est le nouveau film du jeune cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen qui a notamment obtenu un beau succès d’estime avec son précédent film Que Dios nos perdone. Nous suivons ici la chute d’un politicien pris au piège dans les rouages d’un système qui a fait sa réussite mais qui, cette fois-ci, se retourne contre lui. Un film qui ne risque pas de faire les affaires des chiffres de l’abstention tant il réussit brillamment à remettre en cause des sujets qui dépassent le simple monde politique de façon habile et corrosive.


  On peut résumer simplement El Reino à une perpétuelle course contre-la-montre qui montre crescendo en tension et nous tient en haleine pendant deux petites heures qui passent à une vitesse folle. Pourtant ce n’est pas si facile de rentrer dans le film qui déroule un scénario assez complexe sur un rythme intense qui laisse finalement peu de répit au spectateur. L’introduction se fait sur un plan-séquence dynamique et aboutit ensuite sur un déjeuner où les plans se multiplient par le biais d’un montage particulièrement raide qui nous rappelle celui d’un autre film politique : **In the loop d’Armando Iannucci**. Mais si ce dernier s'apparente à une comédie, ce n'est pas le cas d'El Reino qui arbore des teintes plus noires et cyniques.

Cette réalisation et ce montage ultra dynamiques peuvent surprendre dans un premier temps mais on se rend vite compte de l’épatante maîtrise de l’ensemble. La forme s’accorde très bien au fond qui, s’il ne va pas nécessairement au cœur de ce système particulièrement pourri, présente néanmoins de solides attraits. Les protagonistes, dont notamment le principal brillamment interprété par Antonio de la Torre, font l’objet d’une écriture remarquable qui laisse place nette à la nuance et à l'ambiguïté. On ne sombre ni dans la caricature de personnages pourris jusqu’à l’os ni dans la caricature de modèles de vertu repentis. Au contraire, le personnage de Manuel cherche à s’extirper de cette situation embarrassante uniquement pour sauver sa peau, même si ses amis fidèles ou non doivent trinquer à sa place. C’est ce qui donne beaucoup d’intérêt au film : dépeindre un système et surtout dépeindre ses acteurs et leurs enjeux propres de façon à comprendre ce monde clairement, sans tomber dans un enfoncement de portes ouvertes simpliste.
Et ce film n’est pas avare en rebondissements et en séquences marquantes. Outre le plan-séquence introductif, Sorogoyen nous en propose d’autres à des moments-clés qui renforcent l’intensité et cette impression de course contre-la-montre à vitesse réelle. La dernière demi-heure est par ailleurs un modèle de tension avec des moments où l’on se retient de respirer, preuve ainsi que l'empathie envers un personnage que l'on détesterait en temps normal est bien présente. Le passage en voiture dans la nuit me marquera un petit moment je pense.
Et que dire de cette dernière scène qui, une fois de plus dans le récit, nous interroge à la fois sur l’honnêteté du monde politico-médiatique mais aussi sur la nécessité de maintenir un certain équilibre. Difficile à mon sens de rester de marbre face à ce film qui en a dans le ventre et développe une intrigue intéressante sur bien des aspects, avec une solide écriture d'ensemble. J’ignore si le film est inspiré de faits réels mais je suis certain d’une chose: certains politiciens espagnols ont du avoir des sueurs froides en visionnant ce film !

Disponible sur La Dernière Séance

Moorhuhn
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le 28 mai 2019

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