Longuement présenté par son distributeur lors d'une projection unique à la 38ème édition du Festival International du Film de La Rochelle, voilà un film qui a une drôle d'histoire. Unique passage derrière la caméra d'une jeune figure de la scène rock (James William Guercio, producteur du groupe Chicago, a moins de 30 ans lorsqu'il sort ce film, dont il signe aussi la B.O.), à qui le président de United Artists avait donné sans qu'on sache vraiment pourquoi un million de dollars pour réaliser un long métrage, ce film a connu lors de sa sortie en 1973 un tollé tellement retentissant que Guercio, qui dit aujourd'hui encore avoir réalisé une oeuvre fasciste, n'a plus jamais fait de film. Electra Glide in Blue, hué au Festival de Cannes, où il était en compétition officielle, est pratiquement sorti sous le manteau : le distributeur nous a dit que nous étions pour ainsi dire les premiers spectateurs à pouvoir voir le film en copie originale.


Véritable pépite (le film est sorti l'année dernière dans la collection DVD Fnac "Les Introuvables") et vraie curiosité donc, Electra Glide in Blue est une oeuvre hybride, à la croisée entre la comédie, le western (Guercio glisse ça et là plusieurs hommages à John Ford), le road-movie, le film érotique (il y a du Russ Meyer par moments) et le drame. Surtout, ce film se veut une réponse à Easy Rider, dont il serait l'exact opposé : le personnage principal est un l'anti-héros par excellence, petit, pas très malin en apparence, complexé, il s'entraîne au tir sur l'affiche du classique réalisé par Hopper et laisse son coéquipier et son supérieur casser du hippie quand ça leur chante, il est "convaincu des valeurs morales conservatrices de la loi dont le récit va démontrer l'érosion, voire la corruption, face à la contre-culture hipppie pas moins corrompue et dévoyée" *.


Mais si les protagonistes se situent bien du côté de la loi (ce qui était assez mal vu à l'époque au cinéma) et si le héros "croit à toutes valeurs réac auxquelles se sont opposé les tenants de la contre-culture" *, je n'ai perçu aucune dimension fasciste dans ce film, qui a manifestement souffert d'un énorme malentendu à sa sortie (contre-sens interprétatif épouvantable qui explique pourquoi Guercio a aussitôt décidé de remiser ses rêves de cinéaste au placard, voire est allé jusqu'à assumer ironiquement aujourd'hui ce qu'on lui reprochait en 1973). Pire, c'est idiot de vouloir l'opposer à Easy Rider, tant Electra Glide in Blue en serait plutôt la continuité : le héros est souvent ridicule, les flics sont tous pourris, la morale, faussement réactionnaire, dénonce la corruption et la violence arbitraire d'un état policier en roue libre en même temps qu'elle pointe les limites du délire hippie (comme chez Hopper finalement), les deux films se terminent sur une scène identique...


Bref, le film a été (très) mal compris et injustement boudé !


*"Electra Glide in Blue est souvent considéré comme un film culte, voire comme l'un des grands chefs-d'oeuvre du cinéma américain des années 70. Le fait qu'il soit resté longtemps invisible a joué sur cette réputation, la cinéphilie ayant cette tendance à sacraliser plus aisément ce qui est seulement connu par le plus petit nombre de personnes. Or, ces qualificatifs ne peuvent que nuire à Electra Glide in Blue. "Chef-d'oeuvre" est une appellation par trop écrasante, et le terme "culte" induit des attentes qui ne peuvent qu'être déçues. Lui imputer une place sur un podium c'est faire peu de cas de sa réelle substance : Electra Glide in Blue est un film étrange et délicat qu'il faut appréhender sereinement. Une oeuvre à la fois très révélatrice du cinéma américain du début des années 70 et profondément personnelle, tant par sa mise en scène que par sa vision de l'Amérique. Passionnant." *


AlexandreAgnes
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le 4 juin 2016

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Alex

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