Sokurov raconte ce voyage nocturne à la première personne, entre la Russie et l’Europe, entre St Pétersbourg et Rotterdam, tente de nouer quelques liants entre ces deux pôles, quelque attraction, les compare, les rapproche, s’y perd dans leurs méandres, s’abandonne dans leur énergie. C’est un mélange de rêve et de souvenir, de méditation et de mémoire. Plastiquement, le film est dément. L’image flotte, ondule comme si elle était soumise à une source de chaleur menaçante. Ouatée comme un rêve. Je me demande si ce n’est pas l’objet le plus expérimental du cinéaste russe, dans son approche formelle autant que dans sa mise en abyme. C’est à la fois très simple (des mots chuchotés sur des images triturées) et vertigineux. Disons que l’on peut apprécier cela de différentes manières. En tant que poème imagé ou en tant que voyage dystopique ; Ou comme une douce caresse des formes et des matières ; Ou simplement c’est une réflexion sur le mouvement, le mouvement dans l’art. Les forces invisibles, la disparition. Des routes, des forêts, la mer, la lune, des frontières. Ici un arbre sans feuillage affrontant l’hiver avec ses fruits jaunes. Là ce très beau passage sur la route qui rappelle, différemment, le travail sur les lumières de Tati dans Playtime. Il y a aussi cette drôle de rencontre, avec un homme de passage. Un personnage au hasard, symbole étrange du tumulte des Hommes, entre la force créatrice et la haine. C’est dans la peinture que Sokurov finit par se mouvoir et se réfugier, entre Bruegel et Van Gogh, La tour de Babel et Allée des peupliers puis dans Place Sainte-Marie de Peter Saenredam. Une collision entre le réel et sa représentation. Collision rêvée, collision temporelle. C’est un voyage tour à tour enivrant, envoutant, inquiétant, extatique, accompagné d’un arrangement électronique de Mochkov reprenant des fragments d’œuvres de Chopin, Mahler ou Tchaïkovski. On navigue dans le sublime. Je me rends compte que j’aime le Sokurov du déplacement sans fin, sans issue, en lévitation, à l’image de cet homme marchant en attendant la mort de sa mère (Mère et fils) ou de cette traversée sensuelle de l’Ermitage (L’arche russe). Dès qu’il se fige ou s’enlise, j’ai tendance à vite perdre pied.

JanosValuska
8
Écrit par

Créée

le 16 mai 2015

Critique lue 569 fois

8 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 569 fois

8

D'autres avis sur Élégie de la traversée

Élégie de la traversée
JanosValuska
8

Nostalgie de la lumière.

Sokurov raconte ce voyage nocturne à la première personne, entre la Russie et l’Europe, entre St Pétersbourg et Rotterdam, tente de nouer quelques liants entre ces deux pôles, quelque attraction, les...

le 16 mai 2015

8 j'aime

Élégie de la traversée
DivinecomdiedeDante
10

Oeuvre Divine

Un flot incessants de pensées me traverse l’esprit, embuée, de part ces lieux captés de l’extérieur, des variations sur les nuages, éclairant chaque monceau de cette traversée élégiaque. Alexandre...

le 14 août 2015

7 j'aime

10

Élégie de la traversée
Moizi
4

Un plus concret, s'il vous plaît

Je crois que je n'aime vraiment pas Sokourov, qu'est-ce-que ça peut m'ennuyer ce truc et ça dure à peine trois quarts d'heure... Faut sans doute une sensibilité particulière, mais pour moi ce type ne...

le 22 nov. 2015

3 j'aime

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

31 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

30 j'aime

4

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

27 j'aime

6