J'ai vu ce film au cinéma en 1981, j'avais presque 15 ans: ce fut un choc émotionnel et esthétique. "Elephant Man" obtint le Grand Prix au Festival du Film Fantastique d'AVORIAZ alors qu'il n'a de "fantastique" que sa qualité. Ce n'est pas grave, on considéra sans doute à l'époque que le traitement d'un tel sujet était de l'ordre du "fantastique". Elephant Man n'est pas un film de genre même s'il y a de nombreux chef-d’œuvres dans le cinéma dit fantastique.
C'est une oeuvre à part dans la filmographie de David Lynch même si on retrouve dans le métrage un peu du style de Eraserhead (1977) déjà dans l'idée de filmer en noir & blanc puis dans certaines séquences oniriques ou cauchemardesques un brin dérangeantes.
Le film n'a pas pris une ride depuis sa sortie grâce à son format cinémascope, son faux classicisme, sa musique émotionnellement riche, ses cadrages précis et son noir et blanc - à la fois beau et étouffant - qui est un personnage à part entière.
Que dire de la prestation de John Hurt - l'homme-éléphant - dont la vie passe par la gestuelle, la voix et les yeux sous un maquillage impressionnant (on se demande encore comment une telle maladie est possible: on parle aujourd'hui du syndrome de Protée) A partir de 1884 à Londres, on étudia le cas clinique d'un jeune homme atteint d'une difformité monstrueuse après qu'un médecin l'eut découvert dans une baraque foraine. John Merrick (de son vrai nom Joseph Carey Merrick - 1862-1890) était exhibé au regard effrayé, scandalisé, dégoûté d'un public "friand" de ce genre de phénomène. Le reste du casting est parfait: Anthony Hopkins, interprète le chirurgien qui "délivra" Merrick de la misère de son environnement.
Cependant David Lynch dénonce le voyeurisme caché derrière les meilleures intentions - même celles du médecin ne sont pas toujours très claires au début - et n'oublions pas notre propre voyeurisme de spectateur qui finalement s'amuse à se faire peur.
Lynch s'attache aussi à dépeindre une société victorienne étouffée de préjugés - le monstre, "l'autre" est forcément stupide - faite de crasse - la ville semble suffoquer sous la pollution - de pauvreté et d'hommes attachés à des machines.
On peut voir en cet homme-éléphant un miroir déformant et déformé de l'Angleterre industrielle où l'hypocrisie est aussi une forme de cruauté - dans le film des bourgeois vont prendre le thé chez Merrick mais ils sont au bord de la nausée - car l'aspect, la surface aveugle celui qui regarde: il en oublie le cœur qui bat, il oublie l'homme. Finalement c'est la société de l'époque et peut-être aussi la notre qui se voit dans les yeux de cet "Elephant Man". Et elle finit par comprendre qu'elle est laide à l'intérieur.