Le moment de dévoiler le monstre est toujours casse-gueule et Lynch gère ça remarquablement bien – d’abord en le filmant dans la pénombre, puis en instaurant pendant 20 minutes environ tout un jeu d’ombres et de masques pour ne pas le montrer. Finalement, le moment où il est révélé au spectateur n’est pas du tout solennel, et c’était la meilleure chose à faire pour éviter la déception, après avoir entendu tous les personnages disserter les uns après les autres sur sa monstruosité.
Globalement on échappe au pathos auquel le scénario appelait (il s’agit de convaincre tout le monde que John Merrick est doté d’une intelligence et d’une sensibilité classiques, en somme de prouver son humanité) et Lynch maintient un point de vue relativement singulier dans un cadre bien plus conventionnel que d’habitude chez lui. On retrouve ce même attrait pour la laideur et l’effroi qui faisaient le charme plus elliptique de Eraserhead.
Comme l’a dit un mec à la sortie de la séance, le film laisse une large place aux machines, aux usines. Et ce caractère industriel, froid, mécanique du monde valide jure forcément avec les effusions répétées de cet homme-éléphant, qui fabrique des églises en carton et lit du Shakespeare. L’humanité n’est donc pas là où on le croit. L’idée n’est pas franchement originale mais la démonstration est intelligente.
J’ai eu peur un temps que le film se dirige vers un raisonnement classiste bête et méchante, mais Lynch est trop malin pour prendre ce chemin. La curiosité glauque qui attirait le public devant ses freak shows s’est simplement drapée des apparats mondains de la haute société londonienne. Ça a quelque chose d’assez désespérant et finalement, c’est la bonté sincère du docteur Treves qui sauvegarde le peu de naïveté qu’il reste à John Merrick face à l’hostilité du monde