"L'amour physique est sans issue" (Gainsbourg)

Après avoir exploré, en 1987, dans "Robocop", la question de la spécificité de l'humain et s'être interrogé sur la supériorité éventuelle d'un être artificiel sur l'homme, Paul Verhoeven semble avoir décidé, ici, de sonder les profondeurs de l'âme humaine et, plus spécifiquement de la psyché féminine. Désir d'effraction, de pénétration, qui s'illustre, narrativisé, dès la scène d'ouverture, puisqu'une femme, encore inconnue de nous, est en train de subir un viol, apparemment à domicile, sous l'œil placide de son chat.


Coiffé d'un titre ambitieux, "Elle", qui paraît annoncer des révélations ultimes sur l'être féminin, le film, audacieusement, va ainsi s'engager sur le chemin de cet impossible lien, traquant au plus près l'attirance de cette femme pour "son" violeur, attirance avant mais aussi après qu'elle l'ait identifié et, aux sens propre comme métaphorique du terme, démasqué. Ici se déploie toute la richesse de l'écriture de Verhoeven, de nombreux plans recelant des merveilles de construction. Et que dire de l'interprétation d'Isabelle Huppert, qui trouve ici à jouer de ses propres failles sur un orgue infini de nuances et de subtilités troubles et volontiers duplices ?


On peut toutefois regretter que la complexité du personnage incarné par I. Huppert, Michelle, plonge ses racines dans un passé familial violent, relevant du fait divers, ce qui limite la portée de ce portrait de femme, en le singularisant et en le rendant en quelque sorte plus anecdotique, moins universel. Par ailleurs, le portrait intime de cette "elle" ressort ainsi noirci dans ses moindres recoins, alors que la complexité humaine s'affirme en réalité comme d'autant plus inextricable lorsque la blancheur, voire la candeur, voisine avec la noirceur la plus dense. Mais sans doute ces critiques pourraient-elles se voir plus opportunément adressées au livre de Philippe Djian qui a inspiré ce film, "Oh !..."...


Il n'en demeure pas moins que ce dernier opus en date de Verhoeven se distingue comme l'un des films les plus courageux et les plus fascinants de l'année cinématographique 2016, dans la mesure où il ose soulever davantage de questions qu'il n'apporte de réponses, et cela notamment autour de l'inépuisable thème de l'érotisme et du désir. Certains avis ont pu reprocher à Laurent Lafitte son physique trop sage pour rendre crédible un profil d'agresseur sexuel ; mais, tout au contraire, de même que les airs contenus et glacés de l'héroïne peuvent dissimuler une créature aussi ardente que si elle se consumait dans le coin le plus brûlant des Enfers, ces deux enveloppes si contraires aux âmes qu'elles enferment se font les vecteurs idéaux de la leçon du film, qui invite résolument ses spectateurs à se défier des dehors trop lisses et à rechercher, sous le jeu bien policé des rapports sociaux, la quête de l'extrême à laquelle les corps sont prêts à s'exposer.

AnneSchneider
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 25 janv. 2017

Critique lue 368 fois

9 j'aime

11 commentaires

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 368 fois

9
11

D'autres avis sur Elle

Elle
Velvetman
7

Désir meurtrier

Le contrôle et la manipulation sont des thèmes récurrents dans les films de Paul Verhoeven notamment quand ce dernier s’entoure de personnages féminins comme l’étaient Nomi (Showgirls) ou Catherine...

le 26 mai 2016

105 j'aime

14

Elle
mymp
5

Prendre femme

Évidemment qu’on salivait, pensez donc. Paul Verhoeven qui signe son grand retour après des années d’absence en filmant Isabelle Huppert dans une histoire de perversions adaptée de Philippe Djan,...

Par

le 27 mai 2016

86 j'aime

5

Elle
pphf
5

Dans le port de c'te dame

On pourra sans doute évoquer une manière de féminisme inversé et très personnel – à peine paradoxal chez Verhoeven : on se souvient de la princesse de la baraque à frites dans Spetters, qui essayait...

Par

le 3 juin 2016

73 j'aime

20

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

76 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

73 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

70 j'aime

3