Ce qui est agréable, avec "Elle", c'est de ne pas savoir ce qu'on va regarder. On me l'avait vendu comme une sorte de chasse entre une femme et son agresseur ; et il s'est avéré que ce film a bien plus que ça dans le ventre.


Passons sur le casting brillant, avec une Isabelle Huppert corrosive, un Laurent Lafitte métamorphosé et une tripotée d'acteurs charismatiques, qui colorent le film et lui donne une vraie gueule. Passons sur les rôles tellement fins qu'ils en sont délectables, sur les backgrounds ingénieux des personnages. La forme, en somme, est parfaite (même si ce film a des longueurs qui fatiguent un peu). Quant au fond, il n'a de cesse de me retourner le cerveau, encore aujourd'hui.


Traiter de la question du viol est une chose délicate ; parce que ça a été fait, refait, jouant avec le seuil de tolérance à la douleur et au malaise des spectateurs, parce que le sujet, en lui-même, est particulièrement fort, parce qu'il ne faut ni en faire un cliché, ni un spectacle. "Elle", cependant, fait du viol un motif de sa narration, et tout son fonctionnement - et il le fait admirablement bien. Le viol n'y est pas un événement bref et qui n'arrive qu'une fois ; il parsème tout le film, de façon plus ou moins sporadique, et apparaît, vers les deux tiers du film, comme un véritable espace d'échange. C'est étrange, n'est-ce pas ? C'est même carrément grinçant.. Patrick, le personnage joué par Laurent Lafitte - qui, quand il joue le gentil, nous montre à quel point ses dents sont blanches et, quand il se transforme et bascule, nous fait réaliser à quel point ses yeux sont noirs - est remarquable ; qu'est ce qu'est le viol, pour lui ? Une nécessité. D'où la création de cet espace entre lui et Michèle (jouée par Isabelle Huppert), un espace où règne la violence, et où l'un et l'autre communiquent à leur façon.
Face au viol, Michèle, par ailleurs, a une façon de réagir captivante ; froide, voire glaçante, elle n'en parle pas (ou peu), mettant une distance entre elle et un éventuel traumatisme, qui découlerait de cette agression. Elle garde la tête froide - puis l'ébouillante ; il suffit de se remémorer cette scène, dans la cave, pour voir l'agression devenir, en elle-même, une pantomime sexuelle. Le glissement est remarquable, et un autre suivra, le viol devenant, pour Patrick et Michèle, un véritable espace-temps où ils existent à leur façon, baignés dans la violence ; d'agression, le viol devient rencontre, acte sexuel, vengeance. Ses connotations oscillent sans cesse.
Mais, avant tout, il est cette appropriation, par une femme, d'un événement traumatique qui aurait dû, en toute logique, s'approprier jusqu'au corps et l'identité de cette victime ; mais Michèle va plus loin, elle rompt ce qui pourrait en faire une victime, détruit l'idée même de victime pour affirmer sa force et sa puissance.
Un des passages les plus délectables étant ce moment où Michèle, parce que sa voiture s'est mangée un arbre, appelle Patrick à l'aide - et il l'aide, puis la soigne. Le renversement, dans un premier temps, peut sembler ridicule, mais il donne naissance à ... Une infinité de scènes délicieuses.


Est-ce que ça fait de "Elle" un film malsain et/ou brutal ? Sûrement. J'en suis sortie, en tout cas, toute bouleversée. La thématique du viol - qui m'a beaucoup intriguée, l'acte réel étant violent et révoltant, mais le fantasme du viol, mis en scène, assez récurrent - y trouve une nouvelle essence, mais le viol reste un viol, quelque chose qui tache, qui choque, qui donne envie de détourner le regard. L'équilibre, cependant, est respecté, tant ce film est bien orchestré. On oscille sans cesse entre sourires et rires - les interactions entre les personnages et leurs caractère sont souvent très drôles - et déglutissements
contrariés (face à la violence), ce panel d'émotions donnant un vrai corps au film, qui ne se contente pas de se limiter à une catégorie cinématographique mais se donne les moyens de fournir au spectateur une infinité d'émotions.


J'ai encore beaucoup de peine à parler correctement de ce film - sur lequel je réfléchis encore. Sans doute à cause de la délicatesse du sujet. Quoi qu'il en soit ; il est à voir. Parce qu'une turbulence comme ça, dans le monde du cinéma, c'est un délice.

Neena
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le 31 mai 2016

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Neena

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