Je suis tombé pour Elle...

Jusque-là le nom de famille Leblanc était associé, dans mon esprit, au Dîner de Cons et à la scène mémorable entre Thierry Lhermitte et Jacques Villeret à propos de Juste Leblanc… Il faudra désormais compter avec une autre famille Leblanc, bien différente, et des prénoms qui ne prêtent pas à rire.


Elle est un film étrange, qui gagne en épaisseur et en ténèbres au fur et à mesure du temps qui passe et des thématiques qui apparaissent. On ne sait pas sur quel pied danser devant le spectacle qui nous est offert ni quoi penser tant le film réussit à ne pas prendre parti. C’est à nous de nous forger notre avis sur les personnages, les différentes faces qu’ils nous offrent.


La première impression qui m’a parcouru est une impression de décalage. Une scène synthétise parfaitement cela : lorsque Michèle échange pour la première fois, dans le film, avec sa mère, Irène. Leur échange est déroutant, pas seulement pour les propos échangés mais aussi pour le ton employé. Elles parlent mais les mots ne semblent pas à leur place, le contexte, le rythme ne semblent pas être le bon. Le personnage qui symbolise le plus cela est Michèle Leblanc. Isabelle Huppert lui donne un aspect décalé, parlant avec un ton remarquablement semblable, presque détaché, de son viol, de son passé de fille de meurtrier, de ses soucis, des plats à commander… Son jeu, dépouillé de toute émotion superflue, lui donne un aspect de beauté glacée, à la fois attirant et inquiétant.


Il faut néanmoins souligner que les acteurs entourant Isabelle Hupert ne sont pas des faire-valoir. Chacun permet de dévoiler une facette du personnage de Michèle Leblanc et occupe une place bien précise dans l’intrigue qui se développe. Derrière le vernis des apparences, il y a autre chose. Et là où le film marque, c’est aussi dans toutes ces petites phrases prononcées à différents moments qui conduisent à repenser une bonne partie de ce que l’on a pu voir auparavant (songez par exemple aux derniers mots que Rebecca adresse à Michèle).


Cela permet de faire la transition avec la seconde impression qui s’est dessinée : celle du malaise. Du côté des paroles donc, avec des propos ou des échanges pleins de sous-entendus, qui semblent surréalistes (il faut voir le moment où le fils de Michèle lui apprend qu’il a quitté son boulot parce que sa voiture est tombée en panne). Outre l’exemple cité entre parenthèses il y a aussi cet échange entre Michèle et Patrick, où elle lui apprend son passé, ce que son père a fait et la manière dont elle raconte cela, sur le mode de l’anecdote, voire de la blague, tout en ajoutant son petit supplément (vous savez pour les humains morts mais et les animaux ?) et conclut avec un « ça ne s’invente pas » tout simplement magistral.


Malaise aussi du côté des personnages : la dizaine d’individus que l’on voit constitue un curieux rassemblement. Michèle les réunit (au sens propre comme figuré) mais chacun semble menaçant, avoir une part d’ombre qui apparaît parfois de manière incidente (cf. l’échange entre Michèle et son ex-mari Richard, où on apprend qu’il l’a frappée). Certains personnages exercent aussi une influence à distance, alors qu’on ne les voit quasiment pas (le mari d’Irène Leblanc et l’influence qu’il a sur sa femme et sa fille, ainsi que les désagréments qu’il cause, involontairement).


Le malaise peut enfin survenir lors de certaines scènes dont la survenue heurte le spectateur étant donné ce qui a précédé ou ce qu’il a sous les yeux. La scène de viol et ses réapparitions est assez marquante. Certes en la matière elle n’égale pas celle, insoutenable, présente dans Irréversible (ou IЯЯƎVƎЯSIBLƎ) mais comporte une dose de brutalité, de brièveté qui interpelle, en plus de ce qui suit immédiatement après (le rangement et la scène du bain…)… (On notera le rôle joué par le chat qui est peut-être le mastermind du film.)


La dernière impression est celle de l’incommensurabilité. Il est de bon ton de trouver une expression qui fait mouche, de résumer les films, livres, etc. que l’on voit en une phrase. Elle résiste remarquablement à cela parce que c’est un film qui parle de tout : le désir, la jalousie, les petits coups bas, le viol, la suite, la reconstruction d’une personne (ou déconstruction), la vie de couple en dehors des « normes », de parent, de femme dirigeante, de femme qui trompe ou qui est trompée, de personnages un peu à l’ouest, le rapport aux parents et aux enfants, le trading, la mort…


Avec Elle je n'ai pas su sur quel pied danser. Qui est Michèle Leblanc ? Femme forte ? Névrosée ? Dangereuse ? Insaisissable ? Antipathique ? Variation autour de La Pianiste ? Et les autres : représentent-ils l’enfer ? Le salut ? Je n’en sais rien. Mais avec ce film Paul Verhoeven signe quelque chose de fort, tant dans le propos, la mise en scène (il faudra m’expliquer pourquoi on ne ferme jamais son portail à clé !) que dans ce qu’il renvoie au téléspectateur. Une expérience visuelle et auditive à tenter.


P.S. : Je n'ai pas lu le roman Oh... de Philippe Djian dont le film s'inspire.

Anvil
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 juin 2016

Critique lue 366 fois

1 j'aime

Anvil

Écrit par

Critique lue 366 fois

1

D'autres avis sur Elle

Elle
Velvetman
7

Désir meurtrier

Le contrôle et la manipulation sont des thèmes récurrents dans les films de Paul Verhoeven notamment quand ce dernier s’entoure de personnages féminins comme l’étaient Nomi (Showgirls) ou Catherine...

le 26 mai 2016

105 j'aime

14

Elle
mymp
5

Prendre femme

Évidemment qu’on salivait, pensez donc. Paul Verhoeven qui signe son grand retour après des années d’absence en filmant Isabelle Huppert dans une histoire de perversions adaptée de Philippe Djan,...

Par

le 27 mai 2016

86 j'aime

5

Elle
pphf
5

Dans le port de c'te dame

On pourra sans doute évoquer une manière de féminisme inversé et très personnel – à peine paradoxal chez Verhoeven : on se souvient de la princesse de la baraque à frites dans Spetters, qui essayait...

Par

le 3 juin 2016

73 j'aime

20

Du même critique

March Comes in Like a Lion
Anvil
9

Une première saison magistrale

Les 22 premiers épisodes de March comes in like a lion m'ont bluffé. Le réalisateur Shinbo Akiyuki et le studio Shaft livrent une prestation de haut vol. La dernière fois qu'un animé traitant de...

le 22 mars 2017

24 j'aime

11

L'Habitant de l'infini
Anvil
9

Un manga que l'on aime... à l'infini !

La sortie cette semaine d’une édition pour le vingtième anniversaire de la parution française de l’Habitant de l’Infini de Hiroaki Samura constitue un formidable prétexte pour parler de ce manga...

le 2 nov. 2016

16 j'aime

To Your Eternity, tome 1
Anvil
8

Va, vis et deviens

En novembre dernier, Yoshitoki Oima débutait une nouvelle série au Japon. Quelques cinq mois plus tard, le premier volume arrive en France ! Que nous réserve-t-il ? Changement.s dans la...

le 19 avr. 2017

15 j'aime

4