On met rarement en avant l'humour de Paul Verhoeven. Un humour présent dans ses films dans le regard goguenard que le cinéaste pose sur eux.


Une armée de Ken et de Barbie partent se faire étriper par des insectes (Starship Troopers), Verhoeven rigole.


Un méchant cyber-punk tombe dans une cuve d'acide et se fait désintégrer par une voiture (Robocop), Verhoeven rigole.


Une pauvre fille se retrouve dans une BD pendant occupation et manque de se faire ensevelir par une tonne de merde (Black book), Verhoeven rigole.


Un motard finit paraplégique à cause de pelures d'orange et un autre découvre son homosexualité suite à son viol par des motards (Spetters), Verhoeven rigole.


Un écrivain suffisant se fait rabattre son caquet par une veuve noire (Le quatrième homme), Verhoeven rigole.


Une bande de machos se retrouvent sous l'emprise d'un passement de jambes garanti sans culotte (Basic Instinct), Verhoeven rigole.


Une autre pauvre fille s'en va vivre un rêve de midinette dans une sorte de Sodome et Gomorrhe de pacotille (Showgirls), Verhoeven rigole encore et plus que jamais.


L'humour de Verhoeven n'appartient vraiment qu'à lui et il s'épanche dans l'excès et la violence. Avec Elle, voilà le batave entrer dans le cinéma français, celui qui lui permettra de pousser un peu plus loin son outrance. Oublié les films de genre - qui lui permettaient accessoirement de critiquer l'économie privé ou le patriotisme béât - et derrière le faux prétexte du thriller, Verhoeven va enfin pouvoir parler du sujet central de son oeuvre : le sexe. La France a toujours été transgressive sur le sujet, ce qui est une aubaine pour cet Hollandais, élevé dans une rigoriste foi luthérienne.


Ne cherchez pas de réalisme dans Elle, le film en a la couleur mais pas la substance et encore moins la psychologie, sans doute car Verhoeven a décidé d'en changer un paradigme : dans cette fiction, il va encore plus loin que Conte de Noël (Elle se déroule aussi durant la période des fêtes....ce n'est peut-être pas un hasard), où les personnages supprimaient leur censure intérieure pour faire monter à la surface leur haine familiale. Dans Elle, on franchit encore un cap : chacun vivra ses pulsions, contraintes ou assumées ; le filtre de la culture, de l'éducation ou de la religion est levé et tout le monde se lâche (dans l'absolu, le film pourrait s'appeler Basic Instinct). En vieux grigou, le cinéaste s'amuse à donner une des clefs de son film : Iggy pop hurle son Lust for life à deux moments du film ; "luxure pour tous", tel est effectivement le programme d'un film où la réaction de chacun sera dès lors imprévisible et, à nos yeux de personnes raisonnables, outrancière. Et de cela, Verhoeven s'amuse, dynamitant les codes d'un film qui, s'inscrivant dans une tradition cinématographique française, pourrait rappeler Chabrol voire Mia Hansen-Love. On en est au final loin...plus près de Bunuel par exemple. (Im)précisément dans une zone totalement inconnue où le surmoi est totalement dépassé ; un entre-deux où l'on ne sait plus si l'on doit rire (et c'est le cas) ou être franchement mal à l'aise par tant d'ambiguïté (le viol, figure récurrente dans la filmographie du Hollandais ; le transfert de rapports filiaux...).


Modèle absolu de résilience, Michèle (Isabelle Huppert, parfaite que dire d'autre) appartient à cette galaxie de personnages Verhoeven-ien qui semble indestructible aux épreuves : de Robocop à la Rachel de Black Book en passant par la Nomi de Show girls et l'Agnès de la Chair et le Sang. Elle permet de replacer Elle dans le contexte d'une filmographie passionnante et obnubilée par les mêmes obsessions, tout en permettant au film d'être son point le plus ultime et le plus radical.

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le 10 juin 2016

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denizor

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