Aujourd'hui, un billet d'humeur. Qui va me contraindre à enfreindre deux règles considérées pourtant comme essentielles : on va étendre la réflexion à autre chose que le film, et je vais écrire à la première personne, chose qui me révulse au plus haut.


Nous sommes donc allés voir Elle, le nouveau "Prends-toi ça, vomis et réfléchis" de Paul Verhoeven. Le Néerlandais a pour l'occasion appris la langue de Molière, sorti sa caméra névrosée et filmé une nouvelle plongée dans le malsain dont on ne sort pas indemne. Et autant dire que c'était brillant. L'ambiance est envoûtante, on reste accroché à ses accoudoirs, plantant ses ongles à mesure que les détails de l'intrigue prennent place. En gardant une certaine légèreté dans le traitement, Verhoeven rend le tout supportable là où les esprits les plus susceptibles auraient pu s'enfuir dès les premières minutes, et ce à juste titre. Il aère son propos, prend le temps de définir des personnages, et réussit une oeuvre au réalisme cinglant, qui nous fait nous questionner sur notre rapport à la violence, son dégoût et sa nécessité, et notre rapport au traumatisme. Le seul défaut restera dans certains choix de casting, un Charles Berling qui joue Charles Berling depuis 40 ans et un Laurent Lafitte qui n'a qu'à montrer sa trogne pour qu'on sache quel va être son rôle, et quelques directions hasardeuses. Monsieur Verhoeven, vous êtes un homme bien, n'en déplaise à vos détracteurs.


Et ce constat, j'aurais bien aimé pouvoir le clamer à la sortie du MK2 Odéon. La réalité est tout autre, et le mal être très dérangeant : la salle était plus malsaine que le film. J'en viens à me questionner sur les gens qui m'entourent, leur mentalité. Durant l'intégralité de la séance, les gens ont rigolé. Pas de ce petit rictus nerveux qui essaie de se rassurer sur ce qu'il voit, mais de la bonne franche rigolade entre copains, celle des Visiteurs 3 (encore plus dérangeante vu le niveau du film), celle d'un Dirty Papy. On est quand même devant un film qui parle de viol, d'une personne qui se cherche et tente de se provoquer un nouveau frisson. C'est pas une comédie, il n'y a aucune "vanne" dans le film, et si on analyse les moments où les imbéciles décérébrés de cette salle pleine ont pouffé, c'était généralement dans les passages où le personnage principal tentait de changer de sujet, de dédramatiser sa situation, ce qui au vu de son profil la rend encore plus malsaine. "Oh, les malades mentaux, j'ai l'habitude", blague du siècle? Pas vraiment.


Et encore, en sortant, j'ai eu l'infime espoir que nous étions entouré d'adolescents un peu idiots, qui pensent que la seule chose choquante à l'écran, c'est quand ça pisse le sang de manière irréaliste dans Game Of Thrones. Ceux-là grandiront, et ma génération allait bien voir Saw pour regarder les nouveaux artifices de torture. Sauf qu'une fois encore, la réalité est tout autre. Ces abrutis qui s'esclaffaient, ce n'était pas eux, mais des sexagénaires retraités, ceux qui justement peuvent se rendre en salles un jeudi après midi. Et de leur part, j'étais en droit d'attendre plus de recul et de maturité. Mais rien n'y fait, nous sommes aujourd'hui face à des crétins qui rigolent de choses horribles, sont tellement banalisés dans leur connerie qu'ils ne comprennent plus rien à ce qu'on essaie de leur montrer, et que je n'ai aucune honte, aujourd'hui, à insulter. Face à ceux qui sortent - citation réelle - quand une femme perdue tente la provocation envers son agresseur avant de vouloir s'en sortir : "Regarde la salope, elle cherche". À toi, public que je ne comprends plus, je te dis un énorme merde.


Et le pire d'entre tous, ce sera toi, celui qui me dira "Calme-toi, c'est juste un film" ou "y a pire dans la vie". As-tu oublié que chaque oeuvre artistique est inscrite dans notre époque et est avant tout le reflet de notre société et nos modes de pensée? Que les réactions face à n'importe quel propos, qu'il soit fantasmé via une aventure ou ancré dans le réel, sont la preuve de notre mentalité ? Et là, clairement, ça fait peur. Accusez qui vous voulez, prenez vous en aux "puissants" qui vous "manipulent", mais n'oubliez pas que c'est par votre volonté d'abrutissement général que vous laissez faire ce genre de choses. J'espère que la haine est passagère mais aujourd'hui, après avoir constaté une nouvelle fois ce comportement, je suis profondément dégoûté d'une humanité peuplée en trop grand nombre de cons.


Paul, heureusement que vous êtes là, mais on est plus très nombreux à se remettre en question quotidiennement, a priori.

ThierryDepinsun
8
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le 29 mai 2016

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ThierryDepinsun

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