Je ne sais pas s'il s'agit d'une psychanalyse ou d'une prise d'otage, le film dans ses plans fixes, monologués, interchangeables a la volonté de laisser une trace indélébile et poignante. L'héroïne a tout le temps de défier son aigle noir. Elle prend son temps. Son père est allongé, incapable de se mouvoir, dans un état retranché de conscience. Cet accident semble être une aubaine pour régler son différend - que dis-je ! - un double crime : le viol incestueux. Une occasion en or. D'avoir un père qui écoute, qui ne fuit pas, qui n'aucun consentement, est une occasion rêvée. C'est avoir un père normal - mais a-t-elle besoin qu'il assume ? A-t-elle besoin qu'il regrette ? A-t-elle besoin qu'il pleure pour qu'elle se sente soulager ?

Se découvrant dans le miroir, son corps lui apparaît froid. On dirait qu'il a cessé d'évoluer. Mais avions-nous besoin de voir cette transparence, cette désincarnation ? Ne valait-il pas mieux la suggérer plutôt que de tout dire ?

Oui, l'action du film est de dire ce que Laura a mis longtemps à verbaliser pour comprendre. C'est un compte-rendu introspectif. Et ce n'est pas même un compte-rendu pour soi... Car tout du long, c'est l'autre, c'est le rapport à l'autre qui pose problème. En effet, s'il est bon d'apprendre à dire, autant que ce soit le moment du dialogue. Ici, ce n'est pas le cas. Nous nous situons, et de manière assez stricte, entre le dire à soi et le dire à l'autre. Nous nous situons dans une espèce de dictature du monologue.

Laura parle pour ne rien oublier. Ce qui revêt deux aspects. L'un est de tout dire. Même si c'est décousu. Même si ce ne sont que des bribes. Le deuxième aspect est déjà plus pervers. Il s'agit de passer dans tous les recoins. De rendre coup pour coup. Un véritable vide-grenier.

Bien sûr, Laura utilise plusieurs ficelles pour exprimer sa rancoeur dont cette scène où elle inverse les rôles, à savoir comment son père lui parlait, comment il se retranchait derrière un amour paternel, comment il tournait les évènements pour influencer la psychologie de son enfant. Une silhouette tyrannique en guise de père ; c'est tout ce que la vie lui aura promis.

Le film n'est pas très fin dans son évolution : c'est la bête loi du talion, dent pour dent, dictature contre dictature, la reproduction similaire de la barbarie, de la torture sans cri.

Et en même temps, l'enjeu qu'elle ne puisse pas être délivrée de son témoignage au principal intéressé avant qu'il se réveille est assez fort. Le regard que lance Laura à l'infirmière est évocateur : et si ce qu'elle racontait aidait son père à se souvenir et à se réveiller ?

La place du petit ami pour moi est problématique : celle qui a appris à tuer le père très jeune est en couple. La sexualité qui le thème phare de ce film ne semble pas poser davantage un problème.

C'est même l'occasion de placer quelques nus comme dans la plupart des films où l'on fait jouer une actrice, à la seule condition qu'elle ne soit pas trop laide - et comme le cinéma et "la beauté" vont de pair, nous avons droit à quelques séances bien incongrues. Elle est mignonne, Laura. Elle est mise en valeur, Laura. Elle sait prendre soin d'elle, Laura. Non le problème c'est dire à l'autre et de la manière dont elle lui dit tout.

L'abréaction, elle aussi, est problématique : Laura croit à une fin de sa souffrance, croit qu'elle s'est débarrassée du vice paternel vis-à-vis des autres. J'exprime ici toutes mes réserves à ce propos aussi.

Le développement du film souffre d'irrégularités sur le plan moral, sur le plan psychique, sur le jeu, sur les rapports entre personnage - choses qui n'apparaissent pas, par exemple, dans "Il y a longtemps que je t'aime" (je me permets un rapprochement entre les deux films puisque, sur le même registre, il fait jouer des personnages qui ont une grande peine à dire aux autres ce qui les animent)."Elle ne pleure pas elle chante" est à classer au rayon des confessions à un tétraplégique, entre "Syngue Sabour" et "Breaking the waves" (soirée sympatoche en perspective !)
Andy-Capet
4
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le 11 févr. 2013

Modifiée

le 12 févr. 2013

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Andy Capet

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