Ellie Parker
6.6
Ellie Parker

Film de Scott Coffey (2005)

This is not a therapy session, this is acting

Pendant humoristique méconnu de Mulholland Drive (il est inédit en France), Ellie Parker est né de l’amitié qui s’est développée entre Naomi Watts et Scott Coffey lors du tournage du pilote de ce qui devait être la nouvelle série de David Lynch. D’abord un court-métrage sorti en 2001, les deux acteurs-producteurs ont ensuite décidé de le prolonger en tournant de nouvelles scènes pendant les années qui ont suivi (leurs coupes de cheveux changent d’ailleurs de temps en temps). Habitué des seconds rôles chez Lynch (Lost Highway, une scène coupée de Sailor & Lula, une des vignettes au Roadhouse dans Twin Peaks ; il incarnait également avec Naomi Watts un des lapins de Rabbits et aurait sans doute eu un rôle consistant dans la série Mulholland Drive si celle-ci avait passé le cap du pilote), Coffey convoque quelques autres personnalités rencontrées sur le tournage du film de Lynch (Mark Pellegrino, qui jouait le tueur maladroit, la directrice de casting Johanna Ray, divers assistants de Lynch et même Keanu Reeves qui sortait avec l’une d’entre elles), pour réaliser avec les moyens du bord un pur film de potes.


Centré sur Naomi Watts qui a elle-même lutté avant de percer à Hollywood, il reprend la base narrative de Mulholland Drive – une jeune actrice tente de se faire connaître en enchaînant les auditions –, mais ce qui n’était qu’un aspect du film de Lynch devient ici prépondérant. Le ton n’a cependant rien à voir, puisqu’on est cette fois dans une comédie indépendante très artisanale, mal filmée et mal cadrée, avec même parfois une image et un son ratés ainsi qu’une abondance de faux raccords, ce qui n’empêche pas Ellie Parker de demeurer éminemment sympathique, en particulier grâce à la personnalité de Naomi Watts, qui s’en donne a cœur joie de frôler le ridicule. De toutes les scènes, souvent en gros plan (on la suit même aux toilettes), elle hurle, grimace, pleure, sautille, jure, vomit, chantonne, cabotine, fouille les poubelles, ânonne des banalités vides de sens (le « I don’t know who I am » de Rita dans Mulholland Drive repris tel quel, avec la même intonation mais en le vidant de sa substance et de son émotion)... L’humour du film pourrait se rapprocher du mouvement mumblecore ou de ces comédies à la Apatow et Baumbach, montrant des trentenaires au train de vie plutôt aisé mais qui voudraient néanmoins plus et ne peuvent donc s’empêcher d’être tristes ; il y a quand même moins de profondeur là-dedans, et les problèmes existentiels d’Ellie passent souvent à la trappe, occultés par le comique très régressif. Car oui, entre séances d’acting hystériques, changements de costumes et maquillage au volant de la voiture, répétitions solitaires pendant lesquelles les répliques deviennent des mantras absurdes (« I sucked your cock! I sucked Vinnie’s cock! I sucked them all! »), métaphores visuelles délirantes (le fracas des vagues contre les rochers pour souligner la passion que cherche à exsuder Ellie, soit le genre d’effets dont se moquait Gotlib dans ses planches sur le langage cinématographique) et concours de celle qui arrivera à pleurer en premier, on est tellement dans l’exagération permanente que les affects de la jeune actrice paraissent dérisoires en comparaison, mais l’effet en est souvent très drôle.


Ellie Parker fonctionne évidemment grâce au talent de Naomi Watts, pleinement investie dans un rôle dont elle se sent probablement proche, elle dont la carrière a connu des débuts compliqués, et le film semble même un écrin pour son jeu d’actrice. On est loin de l’image glamour et maîtrisée qu’on pourrait se faire des vedettes hollywoodiennes, mais ça ne rend que la comédienne plus sympathique, tant elle semble ici spontanée. Et cette sympathie éprouvée se répand sur le film tout entier, car s’il est rempli de défauts et a finalement peu d’idées de cinéma consistantes, jusqu’à une fin assez paresseuse – Coffey et Watts auraient tout aussi bien pu retirer quelques scènes que prolonger le tournage encore quelques années afin d’ajouter de nouvelles situations –, il n’en demeure pas moins un exercice tout en humilité et en innocence – les auditions ratées sont loin d’être aussi cruelles qu’elles pourraient l’être chez Lynch ou Cronenberg –, représentant un Hollywood artisanal plutôt qu’industriel et peuplé de gens en définitive assez banals.

Skipper-Mike
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le 13 mai 2018

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