Il est assez intéressant de voir ici que ce biopic parvient à garder une certaine tenue dans sa narration et sa mise en scène, assez pour éviter plusieurs pièges idéologiques de la relecture moderne de l'Histoire (je pense notamment au statut de Héros inclus dans le titre alors que dans les faits, Elser est responsable de la mort de 8 personnes en ayant raté son attentat, ce qui semble dire que oui, ça valait quand même la peine d'essayer car la fin justifie les moyens, même si on se loupe en tuant d'autres personnes au passage (apparemment, sept membres du parti nazi et une autre personne, ainsi qu'une soixantaine de blessés selon wiki).


Sur cette question du statut du résistant, le film insiste beaucoup sur les tortures et la pression que subit Elser pendant ses premiers jours d'interrogatoire. C'est davantage pour les victimes innocentes que le film nuance son statut, en ménageant notamment cette anecdote des condoléances que personne ou presque n'était disposé à manifester aux familles touchées de la part d'Elser. En cela, le film essaye d'atténuer le bilan de l'attentat, et se révèle plutôt fidèle aux faits historiques en exposant la volonté d'utilisation d'Elser à des fins propagandistes, et la raison de son incarcération à long terme à Dachau suivie de son exécution. C'est aussi la reconstitution concernant la classe ouvrière durant l'émergence du parti nazi qui attire aussi l'attention, les mécanismes de fonctionnement des camps de travail y étant développé, y compris en montrant des prisonniers politiques (ici communistes, Elser ayant adhéré à l'organisation combattante du parti communiste d'Allemagne KPD) utilisés comme main d’œuvre pour les industries d'effort de guerre. On a alors une ébauche de la situation qui alors opposait cette part de la population tendant vers le socialisme (incarné par le SDP) et communiste qui se retrouvait spolié par le NSDAP et la montée d'Hitler, ainsi que la division des forces avec le Front du Travail Allemand et ses NSBO (groupes d'entreprises à rôle syndicaliste) affiliés au régime nazi. Dans cette période où la classe ouvrière se sent morose et subit les arrestations des dissidents politiques (essentiellement communistes et leurs sympathisants), l'émergence d'une forme de résistance, ici incarnée par Elser qui la pratique passivement (ses non réactions aux manifestations nazies) puis activement, est ici décrite avec logique et une certaine sensibilité qui assure l'immersion, alternant déroulement de l'enquête et flash back retraçant le parcours de son personnage. L’académisme de la mise en scène s'efface derrière la reconstitution historique, ne ratant le coche qu'au cours d'une séquence d'interrogatoire médical virant sur un montage expérimental mal à propos.


La principale erreur que je vois ici est l'imputation facile à l'Allemagne nazie de tous les crimes de la guerre, aussi bien alliés que nazis. Pour cadrer avec les objectifs et les raisons simples d'Elser, résumés par "je voulais empêcher que plus de sang soit versé", le film fait tenir aux allemands dirigeant l'enquête un discours expansionniste brutal qui revendique son agressivité gratuite (vis à vis de la Pologne notamment). Or le contexte politique entourant la Pologne et le souhait des autres grandes puissances à vouloir la guerre (par le non désarmement des nations et le refus de toute négociation avec l'Allemagne nazie) est complètement éludé, et de façon explicite, le film impute aux nazis la responsabilité des bombardements alliés touchant une large part de la population civile (apôtre donc de répondre à la barbarie par la barbarie, mais il fallait bien le faire car ce sont eux qui ont commencé). A l'exception d'un ivrogne violent (assimilé au nazisme) et d'un supérieur nazi qui menace ses collaborateurs et tape gratuitement sur les prisonniers, le film fait plutôt preuve d'une sobriété salutaire qui est pour beaucoup dans mon adhésion au résultat atteint par le film. Malgré un parti pris diffus clairement en faveur de la violence au service du Bien (nuancé par la prise de position initialement non violente d'Elser, qu'on détache également de l'organisation communiste pour condamner TOUTES les dictatures), Elser, un héros ordinaire semble retranscrire plutôt fidèlement le parcours de son personnage, en lissant le tout mais en en conservant la substance.

Voracinéphile
6
Écrit par

Créée

le 11 mai 2016

Critique lue 336 fois

1 j'aime

3 commentaires

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 336 fois

1
3

D'autres avis sur Elser, un héros ordinaire

Elser, un héros ordinaire
MaxiMumuse
7

le Cinéma au secours de l'Histoire

Alors je commence par un petit coup de gueule général: D'abord parce que personne ne s'intéresse à l'héroïsme de ce résistant et il aura fallu ce film pour qu'un semblant d'hommage lui soit rendu,...

le 25 sept. 2016

5 j'aime

2

Elser, un héros ordinaire
easy2fly
3

Un film trop ordinaire

En 2001, le réalisateur allemand Oliver Hirschbiegel se faisait remarquer avec son premier film L'expérience, avant d'être consacré en 2004 avec La Chute. Après un passage pas vraiment réussi aux...

le 23 oct. 2015

5 j'aime

Elser, un héros ordinaire
rem_coconuts
8

Hero of [his] time

Depuis la réunification de l'Allemagne, le cinéma allemand s'engage dans une introspection sur les tourments vécus par le pays au cours du XXe siècle. Le plus souvent, ce travail collectif donne lieu...

le 22 nov. 2015

4 j'aime

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

99 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36