Prolétaires de tous les pays, écrivez de la merde !

Bien que s'autoqualifiant de cinéphile hipster, l'auteur de ces lignes est toujours passé à côté du mini-culte District 9. Il a donc démarré Elysium vierge, pour ainsi dire, ayant pour seul bagage sa passion pour les récits d'anticipation, et son goût pour les Computer Graphics bien branlés. Et cela semblait tout à fait approprié : avec ses cent millions de dollars de budget (suffisamment pour avoir une gueule de blockbuster-dans-ta-face mais pas au point de tuer toute prise de risque), la promesse d'un univers d'anticipation réaliste, et au casting, l'association de l'increvable Matt Damon à la caution intello Jodie Foster, Elysium semblait effectivement être la meilleure introduction au cinéma du célébré Blomkamp. Bon, en fait, pas tant que ça, puisque la lecture du pitch laissait craindre une lecture marxisto-manichéenne des sociétés humaines, avec ses pouilleux en bas et ses nantis en haut... Mais what the hell ?, comme dirait l'autre. Dans l'exécution, cela serait sans doute plus subtil, et qui sait, Blomkamp proposerait peut-être une approche convaincante et éclairée de ladite lecture. Et puis dans le pire des cas, il resterait toujours le drama. L'action !

Premier constat, et sans appel : ou pas. (Je sais, la formule est ringarde depuis 2006, mais je m'en fous.) En tant que critique sociopolitique des sociétés capitalistes, Elysium est d'une nullité transfigurante et internationale, et surtout d'une connerie par moment aggressive, donnant la vive impression que son scénariste s'est bourré la gueule au Cointreau et a relu une vingtaine de fois le programme du NPA avant de torcher le travail en 48 heures chrono - rappelant dans sa simplicité extrême la "critique" anticapitaliste que l'on pouvait trouver dans les pauvres In Time d'Andrew Niccol et Land of The Dead de Romero. Parce que voyons voir un peu. Bien entendu, les pouilleux grouillent toujours en bas, et les nantis barbottent toujours en haut, mais à la limite, c'était un peu déjà le cas dans d'excellents récits d'anticipation des seventies comme Soleil Vert ou Rollerball. La différence est qu'Elysium ne s'arrête malheureusement pas là, puisqu'il aborde le sujet Ô combien casse-gueule de l'immigration, rappelant que nous sommes bien dans les funestes années 2000. Et c'est essentiellement de là que vient le parallèle avec le NPA et son idéologie (dont notre appréciation transparaitra à grosses gouttes tout au long de cette critique), mais le parallèle le plus évident est à établir avec le clivage démocrates/républicains sur la question de l'immigration mexicaine aux USA. C'est bien simple : chez Blomkamp, l'humanité "d'en bas" ressemble à Los Angeles, et Los Angeles à une étendue infinie de favelas déprimantes surpeuplées de miséreux au teint explicitement halé (le blondinet Damon n'a certes rien d'hispanique, mais avec la boule à zéro et deux-trois mots d'espingouin, paf le chien, le tour est joué), tandis que l'humanité "d'en haut" ressemble à ces résidences californiennes ultra-sécurisées pour bourgeois bien blancs et bien gras. En bas, contrôlés par les robots-kapos de l'hyperclasse, on trouvera le héros et ses amis, qui seront forcément pauvres, sympas et serviables (jusqu'au personnage de Spider, au début trafiquant pathibulaire et cupide, à la fin sympathique Che Guevara de supermarché... prolétaires de tous les pays, unissez-vous !) ; et en haut, on trouvera... pas grand chose, le peuple d'Elysium se limitant à des vignettes de rentiers aseptisés (on ne voit que des propriétés, pas d'immeubles de travail), et à deux personnages représentant l'autorité : un président fantôche (moyen-orientalo-indien pour brouiller les pistes l'espace de deux minutes), et, surtout, la secrétaire de la défense Delacourt interprétée par Jodie Foster, blonde platine tirée à quatre épingles symbolisant la politique répressive anti-clandestins, rappelant dans son discours de célèbres hardliners comme Bay Buchanan.

C'est vraiment avec elle que ça se gâte, sur tous les plans : impitoyable, méthodique et méprisant, tenant sur un ticket de métro, son personnage monodimensionnel n'a qu'une seule fonction, celle d'associer la position conservatrice/"réac" sur le sujet de l'immigration aux adjectifs susmentionnés (le Français y verra sans mal une variante fictive de notre MLP nationale). Les nantis sont des fils de pute de naissance, qu'on se le dise. Tellement pourris qu'ils ne sont même pas disposés à envoyer deux ou trois med-pods d'occasion chez les pouilleux agonisants d'en bas (alors que cela pourrait même améliorer le rendement !). Les quelques arguments que Blomkamp daigne accorder à Delacourt se trouvent dynamités d'entrée de jeu par le regard qu'y pose le cinéaste : par exemple, le Nord passant de civilisation charnelle à bande de rentiers improductive à la Wall-E, son argument de protection des acquis d'Elysium se réduit à de l'égoïsme pur (ce qui colle, ceci dit, à moult conservateurs américains que l'on assimile bien malheureusement au camp traditionaliste). Puis, arrivé au moment où le spectateur attend un développement salutaire de son personnage, dans le dernier quart/tiers du film, le scénariste opte pour un twist à deux roubles qui tuera toute chance de rémission - précisons que l'interprétation de Jodie n'arrange absolument rien à l'affaire, puisqu'elle semble paumée du début à la fin du film dans une mauvaise parodie de Cruella...

On a écrit plus haut "sur tous les plans", car le personnage de Delacourt illustre parfaitement la médiocrité du scénario d'Elysium, accessoirement pourri d'incohérences divertissantes sur lesquelles on ne s'attardera pas. Par-delà le propos politique d'une candeur à s'ouvrir les veines, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent, ni au rayon antagonismes, ni au rayon romantique. L'antagonisme se limite essentiellement au personnage de Kruger (...), mercenaire psychopathe, et un des plus mauvais bad guys de récente mémoire, caricatural à en devenir comique : on pense à ses répliques archi-recyclées, son accent improbable (merci Sharlto Copley, mais il valait mieux avoir piscine sur ce coup), son aptitude à tuer à peu près tout le monde, son infatuation creuse pour le personnage de Frey, ou encore sa transformation finale en super-warrior sardonique qui rappelle le Street Fighter de JCVD ou encore le Benny de Total Recall - sauf que dans le film de Verhoeven, c'était du second degré. Quant à la romance, qui tient sur les frêles épaules de la charmante Alice Braga et un Matt Damon trop occupé à démonter du fasciste pour gazouiller dans l'herbe, elle frôle le zéro pointé, certainement pas aidée par les flashbacks de leur enfance, d'un goût atroce (faire courir des enfants au ralenti sur du sous-Lisa Gerrard, c'était courageux, mais bon). Face à cette dramaturgie foireuse et des enjeux limités, il ne reste plus au pop-corneur qu'un spectacle d'action non-stop à mi-métrage (rappelant le Green Zone de Paul Greengrass, qui faisait lui aussi courir Matt Damon dans tous les sens). Au début, ça ne s'en sort trop pas mal, porté par un travail de mise en scène de montage efficace à défaut d'être inventif, et des effets spéciaux souvent très réussis (parvenir à négocier le "Halo" d'Elysium n'était pas couru d'avance), et une esthétique "réaliste" ; mais le festival devient vite éreintant, faute d'humour et d'originalité (ne faisant pas mieux que l'horrible Total Recall de Wiseman). La musique de Ryan Amon, ressucée sans saveur du travail de Zimmer sur Inception, artifice insupportablement omniprésent, cloue définitivement l'action d'Elysium au pilori des blockbusters où plein de choses se passent, mais dont on ne se rappelle pas grand chose.

Certains arguent que le propos politique d'Elysium est ultra-secondaire, voire tertiaire, qu'il n'est qu'un prétexte au grand show son et lumière, et que l'on peut juger le film en faisant abstraction de cet élément. Il n'en est bien entendu rien, surtout lorsqu'on apprend que Blomkamp avait tenu le même discours dans son précédent film - mais dans une version moins crétine, semblerait-il. Elysium est un pur film de propagande, que celle-ci soit activement travaillée, ou totalement inconsciente (on y croit tous). Et pas de la sournoise, de derrière les fagots, non. De la qui ne cherche pas à se cacher, mue par ce sentiment de supériorité morale qui habite le discours social-libéral actuel. Son manichéisme sidérant le rapproche carrément des films tournés sous la supervision du Propagandaministerium, ou sous l'influence de la censure soviet. Le monde selon Blomkamp est très, très simple. On ne trouvera par exemple aucune mention du danger monumental que représente la surpopulation mondiale, d'une actualité souvent mésestimée. Peu importe la raison : seule compte l'émotion, locomotive de l'angélisme congénital qui caractérise un tel discours. À la fin du film, les "gentils" crient victoire. Ils l'ont emporté sur la vermine bourgeoise. Peu importe que le déversement de dizaines de millions de prolétaires sur les verts pâturages d'Elysium ne règle rien et n'ait pour résultat que de les transformer en favelas aérospatiales ; à la fin, tout le monde devient citoyen, laissant triompher l'"égalité", mantra favorite du dogme immigrationniste trop occupé à haïr le nord/haut pour s'intéresser à améliorer effectivement la condition du sud/bas. Au final, bien que la chose ne soit pas explicitée à cent pour cent, c'est un peu le grand Capital qui tombe en même temps qu'Elysium. Personne n'a aucune idée de la suite, mais on trouvera sans doute mieux, les gars, ne vous inquiétez pas. Et on nous demande d'ignorer ça, quand parallèlement, on n'a même pas été capable de fournir un récit d'aventure digne de ce nom ?

Naturellement, on peut tout à fait adhérer à ces idées. Free country, yo. Dans ce cas, la connerie intersidérale du film deviendra même un facteur d'adhésion : certes, le film ne sera pas terrible, mais il aura le coeur à la bonne place ! Ouuuuu... pas. (Ouais, je n'en suis toujours pas sorti.)

En bonus :
https://www.youtube.com/watch?v=njvpHo7-Rlc&list=UUYUQQgogVeQY8cMQamhHJcg
Les gars font un assez bon boulot.
ScaarAlexander
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes sorties ciné 2013

Créée

le 16 août 2013

Critique lue 614 fois

6 j'aime

3 commentaires

Scaar_Alexander

Écrit par

Critique lue 614 fois

6
3

D'autres avis sur Elysium

Elysium
Fraeez
3

District 9 à Hollywood.

- Allo, Neill Blomkamp ? - Lui-même. - Bonjour, ici Jean-Roger d'Univerdaube Pictures Production. Dites, c'était vachement bien ce que vous avez fait dans votre dernier film là, Diptyque 9, surtout...

le 15 août 2013

162 j'aime

22

Elysium
Vnr-Herzog
4

Neil Blomkamp sur ses positions

Nouveau film du Sud-Africain Neil Blomkamp, Elysium peut se résumer ainsi : Vous avez aimé District 9 ? Et bien Elysium c'est pareil mais en moins bien. Vous n'avez pas aimé District 9? Et bien...

le 28 août 2013

83 j'aime

13

Elysium
Nushku
4

Les Champs Eludés

Comme toujours la meilleure partie – disons la moins pénible – c'est le tout début : quand on suit la vie quotidienne du héros, ses habitudes qui sont les nôtres dans un monde qui est le nôtre mais...

le 12 nov. 2013

70 j'aime

4

Du même critique

The Guard
ScaarAlexander
7

"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus...

le 18 oct. 2014

35 j'aime

5

C'est la fin
ScaarAlexander
2

Ah ça c'est clair, c'est la fin.

Il y a des projets cinématographiques face auxquels tu ne cesses de te répéter « Naaaan, ça va le faire », sans jamais en être vraiment convaincu. This is The End est un de ces films. Pourquoi ça...

le 15 sept. 2013

33 j'aime

9

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12