Shanghaï, 1941, les européens, et ici en particulier les britanniques vivent dans une relative indifférence la guerre Sino-Japonaise qui fait rage depuis plusieurs années déjà, sans se douter qu'elle va évoluer en guerre du Pacifique et se greffer à leur propre Seconde Guerre Mondiale...

L'Empire du Soleil a le grand mérite de se focaliser sur la guerre en Extrême Orient, assez nuancée de la guerre dans les îles du Pacifique, et en tire un cachet propre. Celui des dernières années du colonialisme Britannique en extrême orient: Indes, Singapour, Hong Kong, etc... Le film débute ainsi par une présentation de l'opulence dont jouissent ces britanniques expatriés, qui vivent dans des manoirs immenses bâtis sur le modèle insulaire, emploient des armées de serviteurs et de chauffeurs, pour parvenir à vivre presque comme à l'anglaise aux antipodes.

D'ailleurs, l'opulence, et son exact opposé, la carence, sont au cœur du récit et de l'ambiance instillée par Spielberg, non parfois sans appuyer trop lourdement sur le trait. Quelques semaines avant Pearl Harbor, alors que les médias font états d'une mobilisation croissante de l'armée japonaise en Chine et que la tension se perçoit dans les rues, ces idiots d'aristocrates et de bourgeois britanniques, qui se sentent intouchables dans ce petit conflit périphérique qui ne concerne que les locaux, se permettent ainsi de se rendre à un bal costumé, pour parler politique un peu, et pour s'amuser follement... à 300 mètres d'une garnison de soldats japonais retranchés. Le contraste des émeutes et du climats de chaos au cœur de la ville, accueillant les victime de l'exode et de la fuite des paysans chinois face à la progression japonaise, avec ces britanniques grimés en Marajah, en clown, en pirates, en est écœurant. Les voitures des occidentaux se frayent un chemin au milieu d'une foule bastonnée par la police, les enfants, dont le héros, observent un spectacle exotique et inconnus: la véritable vie dans les rues de Shanghai...

Le temps de la prospérité ne durent que 30 minutes, le temps de poser le contexte d'avant guerre. Puis comme diraient Buck Danny, les Jap attaquent... C'est alors que le conte initiatique du jeune héro va commencer, quand, dans la panique de l'attaque, des mouvements de foules et de la fuite, trop tardive, ce ces quasi-colons anglais, celui ci va être séparé de ses parents et apprendre, dans la douleur, à vivre dans les rues. Cette demi-heure de récit d'un jeune James lâché dans la vraie vie s'éparpille dans les délires enfantins de Spielberg, et traine en longueur: James qui retourne seul chez lui, vide les placards jusqu'à éprouver pour la première fois de sa vie la faim, après avoir été un enfant choyé, gâté et surprotégé, James qui retrouve son ex-servante et se fait baffer par elle après des années de caprices, symbole de l'émergence du sentiment anti-colonial et de la haine de l'occidental véhiculé par le concept japonais de la "Sphère de co-prosperité asiatique", ok, c'est intéressant.
James qui part errer dans les rues, portant son "mignon" (mais tête à claque) uniforme d'écolier anglais, et qui se retrouve complètement perdu face au chao d'une ville pillée par les Japonais, c'est trop long et s'en devient pathétique. Quel calvaire quand il se fait courser par un jeune chinois gamin des rues qui compte le dépouiller, et le chemin de croix se poursuit avec la rencontre de Franck et Basie, deux américains charognards vivotant dans ce contexte de guerre et d'occupation. Finalement, la purge de cet état transitoire s'achève avec l'arrivée dans les camps de prisonniers de ces civils anglo-américains, d'abords provisoire, ou la faim pousse le héros à se contenter d'une patate par repas, quand il ne se la fait pas voler, alors que les chinois se mettent désormais à lui crier dessus, et même à voler les patates des prisonniers morts.

C'est surtout l'arrivée dans le camp de prisonnier définitif qui stabilise le film. Le héro s'endurcie avec les mois de captivité et devient moins naïf, et sa passion communicative pour l'aviation est exacerbée par la présence voisine d'un aérodrome de la Marine Impériale Japonaise.

En effet, "l'Empire du Soleil" est une fable sur l'enfance, thème cher à Spielberg, mais qui souffre d'errances et de faiblesses. Le rythme lent de cette première heure de film, qui se poursuit d'ailleurs ensuite, le manque d'action, la jeunesse et la naïveté de James, l'ambiance bordélique de ce campement mêlant constamment opulence des objets anodins et inutiles emportés par ses anciens maitres de la ville (des ombrelles, du beau linge, des chaussures de golf...) avec leur nouveau statut de parias sous et mal nourris (avec des vers dans les portions de riz et de l'eau croupie), cassent le récit, l'enterrent, il ne faut plus s'attendre à grand chose du scénario, autre que l'évolution psychologique du jeune captif... et la fin de la guerre, qui finira bien par arriver. Et le film est long, du haut de ses 2h30 !

A chaque fois que je regarde l'Empire du Soleil, je m'ennuis, je me perds dans cette grosse heure et demie de captivité. Et pourtant, je finis par y retourner, car l'Empire du Soleil sais tout de même me parler, faire briller mes yeux avec des arguments massue...

James est un enfant passionné d'aviation, avant guerre il rêve de machine volante, il reconnait les modèles d'avions de combats utilisés par les japonais, et le comble, c'est qu'il avoue à son père, avant d'être pris par le tourbillon de la guerre, que les japonais vont gagner, car ils ont de meilleurs avions et des pilotes plus courageux (à noter que la propagande occidentale d'avant Pearl Harbor insistait que les Japonais portaient tous des lunettes et ne pouvaient pas faire de bons pilotes !). James est apolitique, il a à peine 10 ans en 1941... mais objectivement, sans jugement de valeur, il souhaite la victoire des japonais, qu'il admire, en rêvant de devenir lui même pilote. Spielberg aussi doit être amoureux d'aviation, particulièrement ancienne, sa filmographie en montre divers exemples, comme Always, 1941, les Indiana Jones... et quand un génie comme Spielberg fixe sur la pellicule un sujet qui l'inspire, cela donne des scènes belles à pleurer.

Ainsi, on peut citer la première rencontre de James avec une épave du Zéro japonais... Le jeu d'acteur de Christian Bale véhicule admirablement la passion et l'émerveillement du garçon pour les avions, il a les yeux qui brillent quand il approche de cette épave et s'installe dans le cockpit, imaginant de passionnant et prestigieux combats aériens à son bord, affrontant... son planeur lancé quelques secondes plus tôt, et porté par les vents de la plaine. Cette scène est d'une poésie folle, d'un entrain rare pour la chose aéronautique... J'ai eu la chance de me trouver face à une épave d'A6M2 authentique ayant participé à Pearl Harbor... cette scène me chamboule en profondeur, notamment quand on découvre que le rêve prend brutalement fin avec l'apparition des soldats nippons attendant leur ordre d'attaque depuis leur tranchée.

Comme James, ce sont les avions de "l'Empire du Soleil" qui me font endurer le film. Ainsi une autre belle scène a lieu lorsque le petit garçon découvre des Zéros opérationnels en cours de maintenance sur la base avoisinant son camp de prisonnier. Echappant à la surveillance des gardes, James s'approche d'un zéro en cours de réparation, duquel jaillissent les étincelles des soudures des mécaniciens. Il a perdu ses parents, il est prisonnier, il ne mange pas à sa faim... mais il rêve en voyant de près l'avion de chasse, qu'il caresse amoureusement avant de saluer solennellement les pilotes japonais de la Marine Impériale, qui lui rendent la pareille. Les pilotes sont une caste à part dans l'Empire du Soleil, ils sont les seigneurs, les chevaliers de l'époque, ceux qu'admirent le petit anglais, qui chevauchent leurs puissants destriers au combat et éprouvent véritablement l'âpreté des combats. Et les seuls qui témoignent de bienveillance envers leur petit fan, quand les gardiens du camps éprouvent un malin plaisir à dominer leurs prisonniers. Les bombardements de nuit du Japon de 44/45, et le crash nocturne de la Superfortress font alors partis des rares éléments matérialisant la guerre, dans un film qui, en dehors de ces quelques exceptions, s'enfonce dans la description du quotidien d'un camp déconnecté de l'histoire. Si les prisonniers américains parviennent, avec du système D et leur arrogance, à se tenir un tant soit peu au courant de l'actualité et à résister au moins symboliquement, suivre le quotidien des Britanniques est d'un ennuis... Ceux ci s'accrochent désespérément à leur domination passée, aux bribes de luxe qu'ils ont pu sauver des pillages japonais, mais forment une population coupée du monde et de l'histoire. Un troupeau de mouton se laissant porter par le chaos de la fin de la guerre et de la chute de l'Empire Japonais, surtout quand à la capitulation les gardes disparaissent du jour au lendemain, laissant leur ancien troupeau errer dans une campagne désertique et chaotique. Je crois bien que Spielberg voulais filmer cette détresse de civils prisonniers d'une guerre qu'ils n'ont pas voulu voir arriver à leurs portes, mais quelle mollesse.

Et encore, le personnage de James s'en sort avec les honneurs. Curieux et débrouillard, il ne se laisse pas abattre par la guerre, arrive à se tenir au courant de l'évolution du conflit, sait désormais ce qu'est la guerre en vraie, fourmille de projet une fois la libération arrivée, comme celui de retrouver ses parents. Cet anglais de sang devient un américain d'âme, apprend à comprendre le Japonais, se dévoue au service des officiers en échange de quelques miettes et devient un Homme, bien plus que nombre de ces compatriotes, ce qui le rend plus fort que nombre de ces prisonniers qui meurent de malnutrition dans les camps.

Spielberg le poète est atteint par la grâce sur quelques plans, comme celui de l'agonie et de la mort d'une prisonnière britannique, qui s'éteint à l'instant même ou un puissant flash balaie la campagne japonaise...C'est ainsi que James expérimente le bombardement nucléaire d'Hiroshima à quelques centaines de km de là, comparant le flash atomique à Dieu prenant une photographie.

Et puis il y a l'attaque de la base aérienne par les Mustang américains... Une de ces scènes qui sauvent le film, qui font que malgré tout je finis par y revenir. La bande son de cette scène est un classique du meeting aérien de la Ferté Alais, elle est lancée chaque année pour les 5 minutes de la démonstration des P51, avions mythiques incontournables de cette grande représentation aérienne... Un avion d'exception, racé, puissant, performant et d'une beauté rare, la Cadillac du Ciel comme le dit James quand il le voit faire un passage en rase motte, oubliant instantanément son ancien amour pour les Zéros... Entendre la magnifique musique de John Williams en voyant de mes yeux un véritable Mustang couleur aluminium piquer à 700km/h dans le vrombissement de son Rolls Royce Merlin a fini par imprégner irrémédiablement le souvenir de ce film dans mon esprit, façon "association d'idée viscérale"... Et du coup, malgré ses longueurs, malgré ses errances, malgré le fait qu'il y ait un gros malentendu entre le film de guerre que j'attendais et le conte initiatique que j'ai sous les yeux, l'Empire du Soleil demeure un film qui ne m'est pas indifférent, et un Spielberg méconnu que je m'efforce de mettre en avant.

Les plus:
Une déclaration d'amour de Spielberg envers l'aviation ancienne
Photographie superbe
La scène et la musique de "Cadillac of the Skies"
Christian Bale enfant habite un rôle pas évident à jouer
L'exotisme et le cosmopolitisme de Shangaï fin 1941
Des plans d'une poésie folle

Les moins:
Le quotidien de civils prisonniers de guerre pendant 4 ans, c'est long et un peu chiant
La guerre et l'enfermement vu par un enfant de 8 ans pousse le film dans le ravin de la naïveté
Aussi larmoyant qu'un épisode de Princesse Sarah...
La course poursuite entre James et un gamin Chinois à se tirer une balle...
En dehors de quelques très belles scènes, le film est assez vide
Dauntless
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le 5 juil. 2014

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