[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


J'ai vécu En guerre avant tout comme un film d'ambiance. Ambiance qui m'a oppressé, parfois exaspéré (dans le bon sens du terme : parce que l'immersion était réussie), des débats syndicaux et autres discussions de médiation. J'avoue que quelque part je regrettais que la situation sociale qui donne au sujet son film ne fasse pas l'objet d'un discours, de perspectives, qu'elle soit simplement montrée telle quelle, qu'elle fasse constater que ça se passe mal mais sans même donner des pistes sur le comment ou le comment changer. Je trouvais, aussi, le choix de la situation peu courageux, puisque tout indique que les ouvrier-ère-s sont dans leur bon droit (légalement peut-être pas, mais moralement sans l'ombre d'un doute), que ce soient le contrat que l'employeur avait signé mais ne respecte pas ou le fait bien pratique que le siège de l'entreprise est situé en Allemagne. La situation des ouvrier-ère-s (ou autres corps de métier) qui ne bénéficient pas de telles circonstances n'est pas moins intéressante et questionne au moins autant notre société. Mais, après coup, j'ai compris l'intérêt de ces choix, et je vois désormais En guerre comme une sorte de documentaire (de fiction qui documente, bien sûr) sur l'impasse de cette lutte des classes aujourd'hui : quand bien même tout semble donner raison aux salarié-e-s sur un plan moral, le rapport de force bénéficie à leurs employeur-se-s. Et, d'après ce que j'ai lu, En guerre est effectivement bien documenté sur les mécaniques institutionnelles qui se mettent en place en pareille situation.


Ces deux aspects - ambiance et documentaire - sont obtenus par une mise en scène qui s'approche du documentaire. À l'image, avec une caméra à l'épaule, une focale courte, des éclairages naturels, bref tout l'arsenal de « l'effet reportage ». À cela s'ajoute le jeu, dans un registre totalement naturaliste, et j'étais bien content de pour une fois trouver un parti-pris de jeu (existant et) réussi dans un film français. Ce parti-pris repose pour beaucoup sur l'improvisation, restituant ainsi les ambiances cacophoniques des diverses réunions.


La présence à l'intérieur du film de reportages qui rendent compte brièvement des événements diégétiques, tranchant avec le rythme général, m'a fait m'interroger. Si la partialité des médias est mentionnée par les ouvrier-ère-s, ces reportages en particulier ne sont pas interrogés à l'intérieur du film, et semblent servir simplement le récit. Est-il attendu que les spectateur-rice-s fassent elleux-mêmes ce travail de déconstruction ? J'ai l'impression que les reportages montrés, obéissant aussi à la nécessité de faire avancer l'intrigue, sont moins partiaux ou plus complet qu'ils ne le seraient en réalité. L'exercice est difficile, de toute évidence.


Pour finir, quelques mots sur la fin du film, et son titre. À la fin, Laurent (Vincent Lindon) s'immole devant le siège social de son ex-entreprise. Pour moi, c'est cette mort qui donne son sens au titre du film : l'opposition permanente jusque là était un « conflit », mais ce conflit tue, et serait donc une « guerre ». Le mot est peut-être fort mais me fait réfléchir, puisque je sais qu'effectivement de telles situations conduisent toujours à des vagues de suicides - à défaut de la violence physique, c'est la violence systémique et économique qui tue -, et j'ai ressenti tout au long du film cette menace latente, à travers l'absence de perspective en cas d'échec des négociations dont parlent plusieurs personnages. On peut supposer que le suicide de Laurent est un suicide parmi d'autres, mais celui-ci est de plus un suicide politique, destiné à rendre le phénomène visible, et ainsi, même si j'ai trouvé cette fin et sa violence très déplaisantes, je les approuve dramaturgiquement. Enfin, j'ai également apprécié l'image du bébé, qui précède l'immolation de peu, parce que, bien qu'un peu éculée, est ici ambivalente. Représente-t-elle la génération qui reprendra la lutte, ou celle que les ouvrier-ère-s licenciée-s ne pourront pas élever aussi bien qu'iels l'auraient voulu ? Symbolise-t-elle l'espoir malgré l'échec du bras de fer, ou signifie-t-elle que pour Laurent, même cet espoir-là n'existe plus ?

Rometach
5
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le 5 juin 2018

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