Marseille après trois pastis (la bouteille, pas le verre)

Arrivé à son neuvième film, Pierre Salvadori se réinvente et ose comme il n’a jamais osé. Adèle Haenel est la veuve du capitaine Santi - un Vincent Elbaz entre Tom Cruise et Belmondo qui bénéficiera d’un délirant portrait en creux à mesure que l’histoire avance – problème, elle découvre que son héros de mari était un ripou, Marseille oblige. Convaincu par son collègue Louis, le bisounours Damien Bonnard, elle renonce à faire éclater la vérité mais sa conscience la taraude, alors elle décide de s’occuper d’Antoine, Pio Marmai parfait en bombe à retardement humaine, que feu son époux a envoyé huit ans à l’ombre pour un crime qu’il n’a pas commis. Antoine ressort traumatisé de son expérience, et s’il retrouve sa compagne Agnès, Audrey Tautou en touchante voie de la raison, il est loin d’avoir réglé ses comptes avec son passé.


Plus on avance, plus l’univers d’En liberté affiche sa folie douce dans un style qui n’est pas sans rappeler l’Amélie de Jeunet (d’autant plus dans la scène du train fantôme ou du masque de Zorro, sans parler de Tautou) même s’il ne ressemble avant tout qu’à lui-même. Potache, bien senti, loufoque ou carrément burlesque, les situations sont souvent très drôles et le film passe à la vitesse supérieure quand on comprend qu’il va quelque part, que l’on n’erre pas sans autre but que de se marrer dans ce labyrinthe phocéen revisité. Nos héros, Adèle Haenel et Pio Marmai, ont un passif qui les fait vriller, véritable moteur du récit en mode faux-polar qui réinvente sans arrêt cette sorte de Vaudeville azimuté.


Sur la forme, Salvadori affiche une science de la belle image et du bon mot. Les répliques fusent, les couleurs pétillent jusqu’à toucher à l’onirique, le chef décorateur d’Audiard est là (Michel Barthélémy) et ça se sent. Le petit monde d’En liberté prend souvent des allures de BD pop. Et si ça n’est pas du goût de tout le monde (oser traiter de la comédie en dehors d’un cadre réaliste, sacrilège !) ou ça tombe parfois dans le sketch Golden Moustache, il y a suffisamment de (très) belles trouvailles que pour parler sans complexe d’une vision « poétique », surtout dans sa dernière partie. Loin de désamorcer son propos, cette esthétique de bonbon acidulé renforce l’ancrage du récit autant dans l’absurde que le réel.


Alors quoi ? En grand écart entre le cartoon et la réalité, l’équilibre aussi subtil que jouissif trébuche parfois, cabotine un chouïa, pas longtemps, le temps d’un instant, et son récit bégaye un peu, volontairement ou non, en multipliant des allers-retours qui sentent le scénario qui coinçait quelque part entre les pages 40 et 50. Qu’importe face au reste, la proposition de Cinéma de Pierre Salvadori est tout à fait unique et les performances de son casting sont marquantes. En bref, En liberté se découvre avec un plaisir monstre.

Cinématogrill
8
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le 31 oct. 2018

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Cinématogrill

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