Le cinéma Américain a, du moins dans sa période classique, toujours visé une forme de simplicité dans la narration qui nous amènerait d’un point A à un point B avec l’intrigue comme liant. En cela Kiss me deadly est, en apparence, exemplaire. Mike Hammer, détective privé un peu rustre, se voit être le témoin du meurtre d’une femme. Cette dernière lui demande de se souvenir d’elle au cas où elle se ferait tuer. Il ne voit des assassins qu’une paire de chaussures intactes.


On insiste à plusieurs reprises au cours du film sur la métaphore de l’enquête policière qui serait une ficelle puis un fil que l’on remonterait pour découvrir les dessous de l’affaire. Cette structure pyramidale sous-entend qu’en bout de course, on rencontrerait une forme de Mabuse contemporain contrôlant ce monde. La modernité du film est d’inverser ces pôles en créant une menace diffuse. Le fameux They indique un complot à grande échelle aux ramifications multiples. Tout le monde est possiblement impliqué. L’économie de la mise en scène d’Aldrich est à la mesure de la grandeur de cette menace. A cet égard, des phares en arrière-plan n’auront rarement été aussi menaçants que dans cette scène préliminaire absolument remarquable qui fait cohabiter dans le même champ la menace et son objet.


Robert Aldrich, cinéaste moderne ? Pas tout à fait. La modernité du cinéma Américain n’est jamais tabula-rasa contre une forme classique pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze l’opposant à la modernité Européenne. Une qualité toute Américaine de l’Action comme moteur essentiel de son cinéma est parfaitement incarné en la personne de Mike Hammer. L’absence de psychologisation du personnage, tout à fait appréciable, quand bien même l’intrigue policière prend de plus en plus la valeur d’une quête transcendant le genre. Ce trajet qui nous ferait passer du film noir au fantastique n’est pas une fin en soi mais plutôt la condition sine-qua-non de cette visée métaphysique. D’où la fameuse boite de Pandore. Outre son caractère fourre-tout (métaphore de la menace atomique pour certains, pure dépense improductive pour d’autres…), elle dynamite tout sur son passage et ce, dans tous les sens du terme. La linéarité du récit se trouve alors dans une impasse car, pour Aldrich, avancer dans l’enquête policière, c’est précisément faire un retour en arrière (on se souvient alors que le générique d’ouverture défile à l’envers). Ici, un retour au caractère primitif de la nature humaine, on pense à cette violence un brin sadique qui déforme le visage de Mike Hammer et surtout à ce vice qui est à la fois celui des personnages et du spectateur ; la curiosité. La quête de l’image (du sens) est au cœur du projet d’Aldrich. Autrement dit ; être moderne, c’est aussi accepter son archaïsme.

Sordi
8
Écrit par

Créée

le 2 déc. 2018

Critique lue 98 fois

Sordi

Écrit par

Critique lue 98 fois

D'autres avis sur En quatrième vitesse

En quatrième vitesse
Sergent_Pepper
9

Va-Va-Voum !!!

Voilà le genre de film à montrer dans les formations sur le cinéma. Vous aurez la quintessence du film noir, avec tous les codes qui l’accompagnent. Une intrigue obscure, un protagoniste à la baffe...

le 31 août 2013

50 j'aime

17

En quatrième vitesse
DjeeVanCleef
8

I'd rather have the blues

Les voitures fusent sur la voie rapide, projectiles aérodynamiques qui glissent sur l’asphalte. Los Angeles dort, plus bas, dans la vallée. Une femme court, paniquée, lunatique, nue sous son...

le 21 déc. 2014

41 j'aime

5

En quatrième vitesse
Docteur_Jivago
8

Under the Bridge

Sur les routes de Los Angeles, la nuit : Une jeune femme semble totalement terrifiée et cherche à arrêter une voiture pour être prise en stop. Ce sera celle d'un détective... Le voilà tombé dans une...

le 20 sept. 2016

28 j'aime

3

Du même critique

Profession : reporter
Sordi
8

The Passenger

De l’errance des personnages de l’Avventura dépourvus de tous repères moraux à l’insuccès de David Hemmings à la fin de Blow-up prisonnier entre la réalité et son interprétation, c’est bien la perte...

le 26 janv. 2018

2 j'aime

2

Nos années sauvages
Sordi
8

Life of Being Wild

Le temps qui passe, se fige, s’accélère. Là est l’essence du film car si on voit le cinéma comme un travail sur le temps et l’espace, les films de Wong Kar-wai s’apparentent à du pur cinéma. Ici des...

le 18 nov. 2017

2 j'aime

Assaut
Sordi
8

The Wild Bunch

Réalisé pour un budget d’environ 100 000$ en sortie d’étude, Assaut a ce minimalisme et cette sobriété du premier film à petit budget. L’introduction chorale des différents protagonistes joue...

le 21 oct. 2017

2 j'aime