Il y a -au moins- deux manières d'appréhender ce film.
La première consiste à y voir un récit fantastique à proprement parler : l'histoire d'Adam, un jeune professeur d'université engagé dans une vie conjugale insatisfaisante qui va incidemment découvrir qu'un double de lui-même prénommé Anthony mène sa propre existence. Un véritable clone physique - comme un véritable jumeau - mais différent sur le plan du tempérament. En effet, Adam est de nature anxieuse, cérébrale et peu sûre de lui, Anthony étant au contraire doté d'un fort égo et d'un rapport au monde très physique : c'est un homme d'action, il fait de la scène, roule en moto... La rencontre entre les deux hommes va être explosive, le premier apparaissant rapidement au second comme une menace rédhibitoire à sa propre existence. Nous sommes là dans un récit où domine le surnaturel puisqu'aucune explication rationnelle- gémellité, clonage... - ne peut permettre d'expliquer l'existence de ce dédoublement.
Le problème de cette approche du film "au premier degré" est qu'elle se heurte rapidement à un certain nombre de contradictions ou de questions sans réponse et que d'autre part, certaines thématiques du film comme celle des araignées restent sans explications.
Dès lors, une deuxième grille d'analyse s'impose, confirmée par des propos du réalisateur lui-même, et elle consiste en une interprétation psychanalytique de la relation entre ces deux personnages. Adam et Anthony serait, dans cette optique, les deux faces d'une seule et même personne. L'un, Anthony, étant la projection mentale d'Adam, sa version fantasmée. Anthony réalisant le vie libre et sexuellement assumée à laquelle Adam aspire. Adam est effectivement coincé entre deux femmes qui l'entravent : sa femme, enceinte (dans cette approche du film, il faut envisager que la femme enceinte est la vraie femme d'Adam et non celle d'Anthony) et surtout sa mère, qui ne cesse de lui faire des reproches sur ses choix de vie.
L'avantage de cette interprétation est qu'elle donne non seulement de la cohérence aux personnages mais qu'elle permet de reconstituer le puzzle chronologique du récit éclaté par la mise en scène de Villeneuve. Elle permet de mieux comprendre la métaphore de l'araignée - représentation menaçante de la féminité - que l'on retrouve partout dans le film : dans le club, dans les rêves, dans l'entrelacs des câbles électriques et dans la vitre brisée (en toile d'araignée) de la voiture accidentée.
Le film, très ludique bien que construit sur un rythme assez lent a beaucoup été comparé au Mulholland drive de Lynch pour son côté puzzle ou au Fight Club de Fincher pour l'aspect schizophrénique du personnage principal. Pour ma part, il m'a surtout rappelé la problématique de Eyes Wide Shut de Kubrick. En effet, William Harford (Tom Cruise dans EWS) et Adam ont en commun une frustration sexuelle très forte, tous deux semblent angoissés par leur compagne respective, par le désir de ces dernières et obsédés par la question de l'adultère (Adam a une maitresse, Harford (Cruise) découche). Adam s'affranchit de sa relation conjugale en fréquentant un club, chose qu'il n'assume pas puisqu'il l'attribue à son double ; dans le même temps, Harford en vient à se rendre à une soirée privée orgiaque (et masquée) à laquelle il n'est pas censé participer. Dans les deux cas, nous avons deux personnages confrontés à leurs fantasmes : vécus mais déplacés sur un double dans Enemy, vécus mais non assumés dans Eyes Wide Shut.
Enemy n'arrive pas à la hauteur de chacun des trois films précités qui semblent l'avoir inspiré mais il reste néanmoins très plaisant à voir dans un premier temps puis à décrypter dans un second.


Personnages/interprétation : 8/10
Scénario/histoire : 7/10
Réalisation/mise en scène : 8/10


7.5/10

Theloma
7
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Vous n'auriez pas un aspro ?, Duel de femmes et Un panier de harengs rouges

Créée

le 3 janv. 2016

Critique lue 709 fois

10 j'aime

Theloma

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