S'intéresser à la période de la vie de Morrissey durant laquelle il ne se "passait absolument rien" selon ses propres mots est sur le papier assez peu engageant, tout comme les critiques qualifiant le projet d'anti spectaculaire. Le risque de se frotter à un objet austère de force VI était bien réel. Et le tout début n'a rien fait pour me rassurer : Un plan fixe sur l'eau pleine d'écume d'une jetée rappelant l'ouverture de The Master de PT Anderson, avec un texte vaguement dépressif en bonus. Mais en bon fan du Moz, je suis prêt à faire l'effort nécessaire.


I sat in my room and I drew up a plan


C'est au jeune acteur britannique Jack Lowden qu'il revient la difficile tâche d'incarner Morrissey. Il ne lui ressemble en rien mais il faut lui reconnaître un bon boulot sur la diction qui rend la composition un peu authentique et la prestation honorable.


Pour entrer dans le vif du sujet, ce n'est pas le film de l'année, mais ce n'est pas le pire biopic de rock star du monde non plus, et au regard du contenu risqué Mark Gill s'en sort à peu près... à la condition d'être un inconditionnel de Morrissey, car le film ne s'adresse qu'à eux. Sans cela, England is mine n'a pas grand intérêt. Il se justifie, en partie, pour comprendre les sources d'inspiration de l'oeuvre future.


C'est donc une chronique de la vie terne d'un ado de Manchester à la fin des années 70. Et l'action se déroule essentiellement dans sa chambre peu aérée, remplie de livres et de vinyles de girls band. Et s'il n'y a pas de doute à avoir sur la véracité du cadre, avouons que l'intimité du chanteur des Smiths n'a que peu d'intérêt. Le voir taper comme un malade sur sa machine à écrire ou le voir faire du thé entre deux chroniques de concert... même moi ça m'ennuie. Du coup on se console avec les à côtés. A la façon d'un film de super héros "prequel" la genèse du super héros, on cherche les origines du phénomène.


Et les clins d'oeil sont disséminés dans tout le film : les discussions au cimetière, ou sous un pont en fer, Linder qui part à Londres, les boulots ineptes, les posters de Wilde & James Dean sur les murs, les concerts en compagnie d'autres geek indé inadaptés, la fête foraine et la violence juvénile menaçante à chaque coin de rue un peu sombre. C'est léger pour faire un film. L'intérêt qui réunira les différents publics est de voir à quel point devenir artiste - ou pop star - était une question de vie ou de mort pour lui. Il se trouve que Morrissey avait du talent, une voix et des choses à dire.


Sans l'une de ces trois choses il aurait eu une vie morne, aurait sans doute exercé un boulot subalterne et n'aurait pas dépassé les 30 ans avant de commettre un suicide sordide chez sa daronne. Ça ne veut pas dire que sa vie de pop star a su le préserver de la dépression pour autant, mais il a au moins eu la satisfaction d'être à sa place, sur scène. Et le premier concert avec les Nosebleeds est pas trop mal foutu au passage car il montre une éclosion. Le film ne s'intéresse qu'à ce cocon gris et silencieux comme un dimanche que fut son adolescence.


Why do I give valuable time to people who don't care if I live or die ?


Le film s'intéresse à la vie du chanteur des Smiths, avant sa première collaboration avec Johnny Marr, à ses projets musicaux foireux avec Billy Duffy, ses visites au pôle emploi où on lui propose d'être maçon, et à ses boulots de merde alimentaires pour soutenir financièrement sa mère.


Deux facettes de Morrissey sont restituées avec plus ou moins de bonheur, et avec le recul, elles sont impossibles à concilier de manière rigoureuse. A certains moments Morrissey est à la limite de l'autisme, incapable de dire un mot, comme s'il était écrasé par on ne sait quel complexe insurmontable et à d'autres moments il est animé d'une prétention sans borne et s'exprime avec une aisance incroyable. Or il faut choisir entre ce qui semble le plus probable et ce que Morrissey dit de son adolescence, car il y a une marge. Je n'ai jamais cru que Morrissey était à la limite de l'autisme. Qu'il se soit perçu rapidement comme un être supérieur doué d'un talent sans égal oui, qu'il souffre d’auto dépréciation et de complexes écrasants dans le même temps aussi. Mais autiste non, je n'y crois pas. Mais passons. Une choses est sûre, le jeune Morrissey était un peu relou (le vieux aussi vous me direz), comme tous les obsessionnels. Et le film nous préserve de son culte avec beaucoup de scènes assez drôles où il est présenté sous un jour un peu grotesque.


Voir le jeune Steven Patrick bosser dans un sombre bureau avec un patron qui la joue à la David Brent, ou de le voir avec une collègue de bureau dotée d'un sacré décolleté qui s'amourache de lui est amusant. Cela donne des situations marrantes mais dont on doute de la réalité. Au final la relation la plus intéressante et qui est sous exploitée est celle qu'il entretient avec l'artiste Linder Sterling (la très jolie Jessica Brown Findley Heart ). Celle qui nourrit une partie de son oeuvre et de ses questionnements sur l'art et la sexualité.


The Severed Alliance


Le film a pris des libertés étant donné le peu de documentation fiable sur le sujet. Était-ce un film important à faire sur ce type là, à ce moment là de sa vie ? Je ne crois pas. Le message lourdingue sous-jacent "crois en tes rêves" est en contradiction avec le cynisme du personnage et son réel coup de chance, car il est la preuve que croire en ses rêves ne suffit pas forcément. C'est bien le monde qui est venu à lui au moment où il a perdu tout espoir.


Les meilleures scènes sont celles qui annoncent sa vie d'après, "la vraie", la première rencontre Johnny Marr en deus ex machina, et qui passe avec succès le test du disque scellant ainsi l'avenir du groupe. Mais c'est déjà la fin du film, alors que c'est maintenant qu'il commence vraiment.


Si vous n'aimez pas Morrissey, passez votre chemin. Si vous êtes fan n'en attendez pas autre chose qu'un essai assez simple pour comprendre comment un ado complexé et flamboyant est devenu un des plus grands personnages du rock anglais.

Negreanu
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le 12 nov. 2018

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