Entre 2 rives (2016) – 그물 / 114 min.
Réalisateur : Kim Ki-Duk – 김기덕.
Acteurs principaux : Ryoo Seung-Bum – 류승범 ; Lee Won-Geun – 이원근 ; Kim Young-Min – 김영민 ; Lee Eun-Woo – 이은우 ; Jeong Ha-Dam –정하담 ; Ahn Ji-Hye –안지혜.
Mots-clefs : Corée du Sud ; Corée du Nord ; Sociétal.


Le pitch :
Sur les eaux d'un lac marquant la frontière entre les deux Corées, l'hélice du bateau d’un modeste pêcheur nord-coréen se retrouve coincée dans un filet. Il n’a pas d’autre choix que de se laisser dériver vers les eaux sud-coréennes, où la police aux frontières l’arrête pour espionnage. Il va devoir lutter pour retrouver sa famille...


Premières impressions :
Présenté à Venise l’été 2016, puis sorti en Corée en octobre dernier, Entre 2 Rives arrive enfin dans les salles obscures hexagonales, un film revendicatif qui renvoie les deux Corée dos à dos. Pour celui-ci, Kim Ki-Duk quitte temporairement ses questionnements sur l’existentialisme pour se plonger sur une thématique plus politique, inspirée par les récentes tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Le réalisateur autodidacte livre ici un film brut, qui critique frontalement la démocratie sud-coréenne et les vieilles méthodes dictatoriales des services de renseignements.


Sous sa caméra inquisitrice, Kim Ki-Duk s’interroge sur cette société capitaliste malade, tout à la fois objet de fantasmes et d’incompréhensions pour son anti-héros du Nord, réfugié malgré lui. Comment peut-on prétendre offrir « la liberté » et « sauver » des réfugiés en les privant de leurs droits fondamentaux ? Comment peut-on les intégrer en les soupçonnant de terrorisme et d’espionnage ? Que faire du libre arbitre dans un contexte de double propagande ? Pourquoi certains réfugiés émettent finalement le souhait de retourner au Nord ? Ces questions, Kim Ki-Duk se les pose depuis longtemps, depuis son service militaire et son engagement dans la marine, puis plus récemment à la suite de rencontre avec des réfugiés.


Bien que le film critique également la Corée du Nord, le spectateur comprendra vite qu’il n’est question que d’un effet de miroir et que le réalisateur utilise le regard de l’homme du Nord comme d’une focale pour renforcer son propos sur le Sud. En comparant les méthodes du Sud à celles de son plus intime ennemi, le cinéaste dénonce l’immobilisme de l’idéologie, toujours semblable à celle de la guerre froide, un conservatisme belliqueux qui n’a rien réglé sur la péninsule en plus soixante ans.


Tout l’intérêt du film réside justement dans cette approche frontale et partisane parce que pour une fois Kim Ki-Duk n’a pas souhaité brouiller son propos d’allégories alambiquées. En effet, le réalisateur est plutôt connu pour faire des films complexes et métaphoriques qui lui ont permis de parler de sujets sensibles comme la sexualité des prêtres (Pieta), la misogynie ambiante de la société coréenne (Moebius) ou encore la prostitution des mineures (Samaria). Cependant, même si le symbolisme est bien présent dans « Entre 2 rives », le film n’a pas le caractère aérien des précédents opus du maître et s’annonce vraiment comme une fronde très nette, presque comme un manifeste.


Paradoxalement, ce côté frontal jusqu’au-boutiste peut également desservir le propos du réalisateur car les métaphores sont presque trop compréhensibles et certaines situations tombent complètement dans le cliché. L’utilisation régulière de scènes gores font parfois basculer le film dans l’esthétique des thrillers coréens et amène une certaine confusion à cause d’un surcroît d’hémoglobine pas vraiment nécessaire. Je ne suis pas systématiquement contre le mélange des genres mais ici le pendant critique et humaniste est tout en nuances alors que l’aspect « thriller » ressemble à une accumulation de scènes clichées. Le film joue alors les grands écarts entre sensibilité, revendication et violence inutile qui ne renforce en rien le dramatique.


Concernant les points forts, le jeu des acteurs est vraiment à saluer. Je ne connaissais pas Ryoo Seung-Bum (Perfect Number ; Crying Fist) qui campe le personnage principal, mais j’ai été bluffé. Malgré des situations parfois grotesques, il arrive à mettre exactement ce qu’il faut de sensibilité et de colère pour que le personnage semble réel. C’est une remarque que l’on peut d’ailleurs faire pour tous les acteurs, car à mon sens c’est véritablement le casting qui porte le film et l’empêche de tomber dans la caricature. Cette qualité, on la retrouve jusque dans les seconds rôles comme l’excellente Jeong Ha-Dam qui crevait l’écran dans Steel Flower (un film indépendant à voir absolument !) ou encore mon actrice favorite du moment, Lee Eun-Woo (Kabukicho Love Hotel, Moebius) qui est trop souvent recrutée pour sa perfection mammaire malgré un vrai talent dans la transmission des émotions.


Pour conclure, Entre 2 rives est un brûlot engagé, véritable coup de poing contre les conservatismes, implorant sa patrie et ses compatriotes de se montrer enfin à la hauteur des idéaux de libertés portés par la démocratie. Comme tout film engagé il a les défauts et les qualités de ses excès qui pourront plaire ou décevoir en fonction du spectateur. Je ne suis pas certain que l’amateur des fresques poétiques de Kim Ki-Duk saura trouver son compte dans ce film qui pourrait bien être un des plus accessibles au grand public que le réalisateur sud-coréen ait porté à l’écran. Néanmoins, l’amateur appréciera la liberté de ton d’un Kim Ki-Duk toujours plus indépendant qui se défait de ses artifices pour mieux servir son propos.

GwenaelGermain
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes BIFF2016 : Busan International Film Festival - Korean Today, Mes films coréens et Vu en 2017

Créée

le 9 juil. 2017

Critique lue 313 fois

1 j'aime

Critique lue 313 fois

1

D'autres avis sur Entre deux rives

Entre deux rives
Fritz_Langueur
9

Plus forte est la lumière, plus grandes sont les ombres...

Kim Ki-duk est vraisemblablement celui qui a le mieux traité au cinéma la vision symboliste. Son "Printemps, été, automne, hiver et printemps" en est le plus brillant exemple. On peut citer dans...

le 3 janv. 2018

11 j'aime

2

Entre deux rives
DanielOceanAndCo
6

Critique de Entre deux rives par DanielOceanAndCo

Kim Ki-duk!! Des fois je peux adorer comme Locataires, parfois ça me rebute complètement comme ce fut le cas avec Pieta, autrement dit, mon sentiment peut aller d'un extrême à l'autre devant un de...

le 5 déc. 2021

5 j'aime

Entre deux rives
Catherine_Gleiz
7

"Les deux Corées et le pêcheur"

VERSION COURTE : A la dérive, entre deux rives A la dérêve, entre deux rêves… VERSION LONGUE : (trop longue, me direz-vous, mais j'ai du mal avec les limites, surtout temporelles) SUR L'EMBARCADÈRE...

le 30 oct. 2018

5 j'aime

6

Du même critique

Tomiris
GwenaelGermain
6

Jacen - Trip in Asia

Tomiris (2019) – 126 min Réalisateur : Akan Satayev Acteurs principaux : Almira Tursyn, Adil Akhmetov, Erkebulan Dairov. Mots-clefs : Kazakhstan ; guerrière ; péplum. Le pitch : L’histoire véridique...

10 j'aime

2

The Age of Shadows
GwenaelGermain
5

Jacen - Trip in Asia

The age of shadows (2016) - 밀정 / 140 min. Réalisateur : Kim Jee-Woon – 김지운. Acteurs Principaux : Song Kang-Ho – 송강호 ; Gong Yoo – 공유 ; Han Ji-Min – 한지민 ; Um Tae-Goo – 엄태구 ; Lee Byung-Hun –...

9 j'aime

8