VERSION COURTE :


A la dérive, entre deux rives
A la dérêve, entre deux rêves…


VERSION LONGUE : (trop longue, me direz-vous, mais j'ai du mal avec les limites, surtout temporelles)


SUR L'EMBARCADÈRE :


Un embarquement un peu forcé.
On m’avait dit :
•“Esthétique”, oui… à l’image de “Printemps, été, automne, hiver… et printemps” (du même réalisateur)
Comme on dit de quelqu’un qu’il est gentil...
•“Long”, “lourd”.
J'avais lu :
•“Académique”, “didactique”,

“Surligné”, “cliché”, “grossier”
“Caricatural”, “bavard”..
“Moraliste”.
Tout en finesse, quoi..
Et surtout, un 6 indulgent(?) de ma propre fille, assorti d’un “Il faut le voir quand même “.
Dommage, j’aimais bien l’affiche.


Et puis, programmation ciné club oblige…
Il faut bien amortir la carte !
D’autant qu’elle est jaune cette année, à la demande des adhérents qui avaient très mal vécu la couleur rose de la saison précédente, et même que ça avait fait l’objet d’un débat passionné et passionnant lors de la séance de clôture.
Comme quoi, des goûts et des couleurs !
Embarquons donc pour l’entre deux rives, des fois que je préfèrerais le rose au jaune..


Et puis, Kim Ki Duk, je ne connais pas vraiment, juste entraperçu son “Printemps, été, automne, hiver… “


PENDANT LA TRAVERSÉE :


Ça commence bien !
La fiche ciné club annonce (cancane) allègrement au dessous du titre :
“de Kim Ki Duck”
Ma foi, je ne me serai pas déplacée pour rien. Je suis déjà au spectacle.


Premières images.
-Esthétique ?
-?
-Long ?
-Je résiste bien.
-Lourd ? Caricatural?
-Au fil de la trame (du filet-c’est le titre original-) , ce n’est pas tant le propos qui me pèse, le fond, comme la forme… mais le jeu.


Le fond :
Un pêcheur nord coréen dérive accidentellement jusqu'à la rive rivale (si je puis dire) de la Corée du Sud, et se trouve forcé d’y débarquer.
“L’autre côté, de l’espoir”?
Face à face, deux pays, deux histoires, deux idéologies, deux univers.
Un seul peuple originel.
Dans le climat bas et lourd qui pèse sur les Corées, chargé de peur, d'ignorance, de paranoïa et d'animosité (au mieux) ou de haine, le pêcheur, que tous voudraient pécheur, coupable du pire crime qui soit ( à l'encontre d'une idéologie), sera le jouet d'interrogatoires, de brutalités et de manipulations.
D'un côté,
L'autre.
Dès son retour sur sa(?) terre natale.
Face à face, deux tyrannies.
La dictature de la peur
La dictature du bonheur (d’Avoir)
Deux inhumanités.


La forme
Une fable
Soit, si l'on fait un mix de définitions, un récit fictif de composition naïve et allégorique qui a pour but et origine, une morale posée ou imposée, une mise en garde, un questionnement.
D'où le côté didactique et moralisateur.
D'où le côté bavard.
D'où le côté lourd et caricatural, encore que…
Le film est inspiré d'un fait divers (récurrent durant ces quarante dernières années) dont fut témoin Kim Ki Duk.
Quant à la vie quotidienne, les interrogatoires.. ils sont nourris de documentaires, vidéos YouTube et projections dans les festivals internationaux ( hors champ de la censure nord coréenne).
Pour le reste, il faudrait se demander si la caricature n'est pas tant dans les régimes politiques, les idéologies et les gens qui les portent et supportent (dans les deux sens) plutôt que dans le film.
Et la réalité se fait parfois aussi (plus) grosse que la fiction, pour emprunter à LaFontaine!


De la fable, on retrouve aussi la structure, souvent basée sur une opposition, une dualité.
Le loup et l’agneau ou Le coq et le renard
Le pot de terre et le pot de fer
L'Amour et la folie
Sauf que l'opposition n'est ici qu'une illusion d'optique.
Au delà des apparences, c'est la même désespérance , qui se réplique dans un angoissant jeu de miroirs parfaitement orchestré par Kim Ki Duk.
A partir de l'élément perturbateur (la panne), le récit est scindé en deux parties symétriques, dans les grandes lignes (Nord-Sud).


-Mêmes couleurs, mêmes cadrages.


-Mêmes méthodes. En particulier, celle qui consiste à faire écrire et surtout réécrire son histoire, au présumé espion, coupable de trahison, de déviance.
Réécrire au sens propre mais surtout figuré, son existence entière.. la rogner, modeler, raturer, corriger, jusqu'à ce qu'elle puisse entrer dans les cases prévues par le régime, les gouvernants.
“On ne fabrique pas les espions, on les traque”.
Oui, sauf que...

Rogner, modeler, raturer, corriger, son “soi”.
Ingénieux équilibre entre torture physique et morale.


-Mêmes violences… (malgré le reproche que l'on a pu faire à Kim ki Duk, de filmer les violences physiques côté Sud, hors champ.)


En fait, entre les deux parties, c'est le jeu des 777 erreurs.
Les petites différences sont nombreuses, sauf qu'il s'agit, là de débusquer la ressemblance.
Une ressemblance qui pourrait être porteuse d'espoir, comme veut le suggèrer Kim Ki Duk, si se ressembler suffisait à se rassembler.
Une ressemblance qui, loin d’ouvrir, cadenasse.
Car il n'y a pas d'issue. Juste deux mondes qui se reflètent et se renvoient l'individu comme un informe ballot.
Là où l'on attendrait la porte de sortie, on ne fait que revenir sur le seuil, revenir dans le circuit, le circuit du Pouvoir, quel qu'il soit et quelque forme qu'il prenne. Le monstre est protéiforme et a le don d’ ubiquité.
Là où l'on espèrerait la porte du Paradis, on ne fait que retomber en Enfer. C'est la version “à plat” de Sisyphe.
Sisyphe à la montagne , Sisyphe dans le labyrinthe…. (comme Martine).
Juste avancer dans le couloir.
Au Nord, au Sud..
Peu importe où l'on est.
On a trouvé LA ressemblance.


Difficile, en fait, d'isoler fond et forme. Tant ils me paraissent se servir mutuellement. La confrontation scénarisée par la fable et le parallèle minutieusement architecturé par le réalisateur mettent en lumière le corps du message. Ils sont le corps du message !


Le jeu
Le seul “poids” que j'ai ressenti, est celui qui plombe(pour moi) le jeu des acteurs. En fait, de l'acteur principal, Ryoo Seung-Bum.
Mais je pense qu'il s'agit d'un problème de différence de langue et de culture. Et, ou d’un problème personnel.
A moins aussi, que cela n'entre dans l’intention de Kim Ki Duk et le cadre de la fable.
Mais j’ai du mal à me sentir concernée par un jeu que je trouve outrancier, grimaçant, gesticulant, hurlant et caricatural. J'avais déjà fait ce constat pour “The Strangers”.
Toujours est-il que je me suis sentie agacée par ces “débordements” et tenue de rester sur la touche.
Il est vrai que le but d'une fable est de nous positionner à l'extérieur, en tant que “juge”.


ET AU MILIEU :
Une rencontre :
Moi, une image, quelques notes et une phrase, qui se mêlent, se superposent.
Éléments d'une formule magique. Ingrédients d'une curieuse alchimie.
Et au milieu, je bascule, je plonge.
En immersion, en émotion.


-Sauter directement sur
LE DÉBARCADÈRE, pour éviter les spoils-


L’image :
Un ours.
(en peluche dans une vitrine.)


Le contexte :Nam Chul-woo (le pêcheur nord-coréen) qui refuse de voir les sirènes du Capitalisme, (comme Ulysse refuse de les entendre) est lâché seul en pleine ville et finit par ouvrir les yeux.
Son, (notre) regard- puisque la caméra est placée au niveau des yeux de l'acteur- découvre un ours en peluche “capitaliste”, qui “clinque” dans l'écrin de sa vitrine.
Lointain parent de l'ours rapiécé de sa fille. L'oncle d'Amérique !
Tout est dit, dans ce regard, le sien, le mien… Je n'avais jamais autant ressenti la finitude, la “vanitude” des mots. Et j’ai juste eu envie de pleurer.
Pleurer sur cet homme là.
Pleurer sur nos vies à nous, et notre bêtise à nous.
Pleurer sur la grâce de ce moment.
Pleurer de rage, sur l'impuissance du langage.
Ces mots qui achoppent, qui échappent, qui échouent…


La phrase
"Il ne voudra plus repartir !"


Le contexte : Nam Chul-Woo est filmé, étudié dans les rues de Séoul comme un rat de laboratoire dans un labyrinthe, et ses réactions commentées.
Quel aveuglement, quelle arrogance, que de juger (préjuger) les (des) valeurs des autres à l'aune de nos propres valeurs ou plutôt de celles qui nous sont imprimées.
On ne s'est pas délié de l’ethnocentrisme dénoncé par Claude Lévi Strauss dans Race et Histoire. Et la véritable dictature est là.
Rien que quelques mots très ordinaires, juste ce qu'il faut, là où il faut, quand il faut.


La musique:
LA musique à ce moment LÀ.


L'ours, les mots, les notes…
Une assomption où s'évaporent maladresses, lourdeurs et défauts que je ne veux plus voir.


Tout est là, peu importe le reste finalement. Pour moi, le film n'existe plus que pour mener à cet instant là, à cette rencontre là, entre image, dialogue, mélodie et… moi, juste moi. Est-ce l'effet ours en peluche qui renvoie à l'intime et à une émotion magnifiée par la réminiscence de l’enfance ?
Tout semble se répondre et se correspondre.
C'est indescriptible, mais surtout indéfini, confus, bouleversant, verlainien ( ça m'évoque Les voyelles)... beau.
De l'esthétique du malheur…
Dans cette fable lacustre, j'ai l'impression d'avoir trouvé une perle dans une huître ! Aux insaisissables reflets.


SUR LE DÉBARCADÈRE :


Comme dirait ma fille, c'est un film qu'il faut voir.
Pour la perle, bien sûr !
Mais aussi, parce que si le message n'est pas nouveau, il n'est pas vain de l'écouter .
La vérité ne s'use pas.
Et les portes ouvertes peuvent continuer à être enfoncées, tant que l'on reste sur le seuil, les pieds rivés au sol.
Ce que d'autres appellent lourdeur, pour moi relève de l'insistance.
Comme on secouerait un dormeur.


Certes, le réveil est brutal et le constat est désespérant. Car, plus qu'une lueur d'espoir pour les deux Corées , je vois, moi, dans ce film un noir destin pour l’homme, et de noirs desseins.
Car sii la fable est la métaphore de ce qui se passe en Corée, ce qui se passe en Corée est la métaphore de ce qui se passe dans le monde.


Comme si l'on ne pouvait échapper à une vision dualiste blanc-noir, bien-mal, capitalisme-communisme…où l'homme est toujours invariablement sacrifié, car au final, et encore une fois pour rester dans le registre de la fable, on aboutit toujours à l'antagonisme premier : Puissants et Misérables.
Car l'Histoire n'est le fait que d'une poignée d'Hommes, détenteurs d'un pouvoir politique ou, et financier.
Ce ne sont pas vraiment les idéologies qui font notre monde, mais le Pouvoir.
Le personnage du garde du corps dans “Entre deux rives”, tenu par l'excellent Lee Won-Geun (au jeu plus nuancé), illustre bien le fait qu'en dépit des idéologies, des différences, les hommes peuvent se rapprocher, comme pouvaient parfois fraterniser les soldats de la Grande Guerre, comme cohabitaient français et algériens parmi les “gens du peuple”, sans verser dans l'angélisme.
Ce sont les systèmes, comme outils de domination pour quelques uns, qui isolent les hommes pour mieux les piéger.

Certes, certains régimes paraissent plus “vivables” que d’autres, séduisants, voire racoleurs, certains filets plus invisibles, mais, “c'est pour mieux te piéger mon enfant “ et, nous, misérable fretin, frétillons au fond de la nasse.
Geumul, le titre original, est en effet souvent traduit par filet, mais j'y préfère la nasse.
L'enfermement s'y fait pour moi, plus dense, plus oppressant.
Le titre français est mensonger, qui laisse entre voir un “entre deux”.


Il n'y a pas d'entre deux.
Juste l'un ou l'autre miroir aux ablettes…


Aussi, pour rester avec LaFontaine dans le registre de la fable, l'histoire d’“Entre deux rives”, l'Histoire, ce serait plutôt :
“Le petit poisson et le pêcheur “
"Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire; dès ce soir on vous fera frire."


“Les deux toros et la grenouille”
"Les petits ont pâti des bêtises des grands".


Mais surtout :
“La tête et la queue du serpent”
"Le serpent a deux parties, du genre humain ennemies."


Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas continuer à se battre, pour trouver une sortie.
Et à se débattre, car entre les mailles, il y a des petits morceaux de liberté.


Note de l'auteur :
Curieux comme mon texte illustre les travers reprochés au film, long, lourd, ennuyeux et brut.
Bon, brut, je revendique, brut, grossier, primitif, primaire... Je n'avais pas envie de faire du “joli dans une vitrine”, mais plutôt du rapiécé, du décousu (!!!!) comme l’ours de la petite fille.
Moche mais proche.
Pour le reste, je me suis empêtrée dans la nasse…


Ah j'oubliais, une petite déception tout de même, par rapport à la fiche ciné club (pour boucler la boucle).


Même pas un seul canard sur ce foutu lac ;-)

Catherine_Gleiz
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le 30 oct. 2018

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