Dans le village souterrain où grouille le petit monde des souris, ce ne sont pas les griffes des chats de gouttière qui hantent les cauchemars des petits… mais l’effrayante image du «grand méchant ours». Le poil hirsute, la gueule béante et les crocs acérés, sa silhouette file sur les murs de l’orphelinat, sombre héros de l’histoire que raconte la vieille gardienne du dortoir à la lueur de sa bougie. Les souriceaux en frissonnent de terreur, et nous d’impatience : la séquence d’ouverture d’Ernest et Célestine est magistrale.
Aux manettes, les animateurs Stéphane Aubier et Vincent Patar se sont déjà illustrés en pâte à modeler avec Panique au village, en 2009 (et, plus tôt, dans les courts Pic Pic André Shoow). Le troisième nom, en revanche, est une découverte : le jeune Benjamin Renner a tapé dans l’œil de la production avec la Queue de la souris, magnifique court métrage de fin d’études tout en rouge et noir, qui laissait deviner un talent certain pour l’animation des rongeurs.
Ernest et Célestine, ce sont d’abord les albums de Gabrielle Vincent, grands classiques des chevets d’enfants entre 1981 et le début des années 2000. L’ours Ernest et la souris Célestine s’y promenaient main dans la main dès leur première aventure, sans que jamais soit posée la question de cette amitié contre-nature. L’adaptation à l’écran replonge dans les racines de cette relation poilue sous la plume de Daniel Pennac, qui en signe le scénario.
La rencontre des bestioles fut délicate, bien sûr : en trouvant Célestine dans une poubelle, ce goinfre d’Ernest l’a d’abord confondue avec son goûter. Il faut dire que le contexte sociétal ne favorise pas l’ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre - dans leurs clans respectifs, ours et souris apprennent à se haïr dès l’âge le plus tendre. Les jeunes rongeurs ne font surface que pour collecter les dents de lait des ursidés, cachées sous l’oreiller comme il se doit, et faire tourner ainsi le business de la dentisterie auquel sont prédestinés tous les écoliers.
Du côté des prédateurs, on fait son beurre sur la misère du prochain : tandis qu’un confiseur écoule ses stocks de guimauves auprès des gamins, sa femme, de l’autre côté de la rue, vend à prix d’or incisives et molaires de rechange. Seule Célestine, qui préfère ses crayons aux prothèses dentaires, seul Ernest, trop flemmard pour gagner sa croûte honnêtement, débordent du moule qu’on leur a soigneusement forgé. On montre alors aux deux marginaux la porte, à coups de pied au cul… ou, si le message a du mal à passer, d’une horde de flics en furie.
Dehors, Ernest et Célestine sont libres. Libres de paresser, d’admirer l’hiver blanc ensevelir peu à peu leur chalet, d’occuper leurs journées à barbouiller des toiles ou jouer du violon, libres de virevolter sous le trait léger et chaleureux du dessin. Et surtout, ils sont enfin libres de s’apprécier. Le couple excentrique du gros ronchon et de la petite rebelle fonctionne à merveille. Il n’est d’ailleurs pas sans rappeler un autre duo disproportionné de héros mal-aimés, actuellement à l’affiche des Mondes de Ralph. Sur le marché de Noël des films d’animation, Ernest et Célestine est un concurrent idéal au Disney sorti la semaine dernière : opposés dans la forme (aquarelle poétique pour le premier, 3D survoltée pour le second), ils se font écho par leur propos.