Souris à la vie et la vie te sourira
Cette petite production francophone sortie de nulle part n'a pas seulement reçu les louanges de la presse. Elle a aussi remporté le prix du meilleur film d'animation à Cannes, et a même été nominée à l'Oscar. Le film n'avait aucune chance face au rouleau compresseur Disney (« La Reine des Neiges », bien mais nettement inférieur, comme ça c'est dit). Mais qui aurait parié un bouton (comme dit la chanson) sur les aventures rocambolesques d'un ours saltimbanque et d'une petite souris malicieuse ?
Esthétiquement d'abord, le film est un enchantement. Un régal pour les yeux et les oreilles. De par sa conception visuelle, le film nous plonge dans un bain laiteux de couleurs pastel. Le dessin lui même est soigneusement stylisé, mais à des antipodes de ce que propose la majorité des productions modernes. Alors que le monde ne jure plus que par la 3D ultra-réaliste, « Ernest et Celestine » surprend par sa simplicité et son univers pelucheux. Ici, des personnages rondouillets à moitié crayonnés se fondent dans des décors d'aquarelles peintes à la main. L'ambiance sonore est au diapason de l'animation. Les morceaux de pianos, à la fois enjoués et délicats, donnent l'impression qu'une petite souris gambade joyeusement sur le clavier. Enfin, les comédiens maîtrisent à merveille l'art casse-gueule du doublage de films pour enfants en surjouant juste ce qu'il faut leurs répliques, pour donner vie à des personnages adorables, cocasses et terriblement attendrissants.
C'est donc émerveillés par tant de fraîcheur et de poésie que l'on suit les péripéties des deux personnages. Mais bien que « Ernest et Celestine » soit tiré d'albums jeunesse du même nom, sa grande force est justement de ne pas s'adresser aux tout petits. Très vite, plus que les livres pour enfants que l'on trouve dans nos contrées, « Ernest et Celestine » rappelle certains films d'animation nippons burlesques, aux couleurs chatoyantes et aux personnages excentriques, dont « Mes Voisins les Yamada » de Isao Takahata est le fer de lance. On y retrouve les mêmes visages aux expressions extravagantes, et un comique de situation digne du cinéma muet. D'ailleurs, la ressemblance avec l'animation japonaise ne s'arrête pas là. Que je sois pendu, si les créateurs du film n'ont jamais vu une œuvre de Hayao Miyazaki. En effet, comment ne pas faire le rapprochement entre cet ursidé à la mâchoire immense, (et dont les simples ronflements font trembler murs et charpente), et la gargantuesque mascotte du studio Ghibli? Il y a clairement du Totoro dans cet ours là.
De même, les joutes verbales entre cet ours au grand cœur, un peu bourru, et cette petite souris pleine de candeur mais au caractère bien trempé, rappelle fortement la cohabitation forcée entre Porco Rosso et Fio, la jolie rousse piquante qui disait justement: « Je préfère avoir un cul de souris qu'une queue en tire-bouchon! ». On notera enfin que la ville souterraine des souris tire son inspiration des villes italiennes traditionnelles du début du siècle dernier. Un pays et une époque pour laquelle celui que l'on surnomme le Disney japonais n'a jamais caché son admiration. Ainsi, si « Ernest et Celestine » est bien une production bien de chez nous, le film doit aussi sa fascination à l'influence majeure des productions Ghibli. Comme ses confrères, il dissimule un message d'entraide et d'amour (ici, une réflexion sur la discrimination et la lutte des classes, représentés par un habile jeu de miroir entre les deux espèces) derrière une délicieuse histoire, fantaisiste et drôle.
« Ernest et Celestine » est un fleuron du film d'animation. Une fable légère et optimiste, mais un poil subversive, sur les dangers du conformisme et des préjugés sociaux, et qui s'adresse à tous les enfants, de 7 à 77 ans. Ces personnages en deux dimensions ont bien plus de relief que nombre de héros de sorties 3D récentes. La magie opère, on rit de bon cœur, et on espère revoir nos deux compères un jour sur les écrans.
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