Bel exemple d'emballement critique généralisé, Essential Killing n'est pas un mauvais film, loin de là. Vincent Gallo est bien entendu le grand atout du film, saisissant en Taliban, idée de casting prodigieuse. Le visage hagard, les lentilles brunes durcissant son légendaire regard bleu acier, il relève autant de l'évidence que du cliché critique que de dire qu'il porte le film sur ses épaules.
L'audace du film ne figure, bien sur, pas que dans son casting, mais aussi dans sa démarche : un film d'action ancré dans la géopolitique de son époque, plutôt américain formellement (dans un premier temps), mais du point de vue de l'Ennemi, un taliban. Ajoutez-y une iconographie christique, le chemin de croix métaphorique d'un soldat de Dieu loin de son élément naturel, on comprendra que beaucoup de critiques aient vu dans ce film transgenre une espèce de messie.
Question mise en scène, au sens large, le film est une réussite de même que sa tentative d'hybridation formelle qu'on pourrait définir par cette équation : Greengrass/Van Sant. Souvent, Skolimowski associe au sein d'une même scène des plans d'une construction esthétique stupéfiante, à la machinerie coûteuse, de pures caméra à l'épaule que n'auraient pas reniés Jason Bourne. Beau parti pris qui situe ce film étrange à la place qui est la sienne : à la marge.

Intellectuellement parlant, cette remise en perspective de l'actioner politique est un peu faible, Skolimowski se reposant un peu trop facilement sur la beauté de son Christ muet, sur cette métaphore biblique très courue, admettons-le. Facilité suprême (ça sent fort l'idée chopée au montage), le polonais insère des séances de rêveries/flash-backs agrémentées de prédictions mentales sonnant comme des prophéties. Dans le genre, on préférera le Jacques Audiard d'un Prophète, qui a porté ce type d'audace à un niveau plus romanesque.

Reste le trip sensoriel, pas désagréable, servi par un sound-design anxiogène et de toute beauté. Avec l'intelligence du recul, Skolimowski pousse le survival dans ses pires retranchements, le terreau fertile de l'absurde. Manger des fourmis, de l'écorce ou racketter du lait maternel figurent ici parmi les défis les plus redoutables. Revenir à l'état primaire, animal. Tout cela tend à dépeindre avant tout la terrible fatalité d'une condition, d'une lutte acharnée d'un être loin de chez lui et qui a bien peu de chances d'être couronnée de succès. On est pas loin narrativement du pas si mauvais The Way Back de Peter Weir, délaissant lui aussi rapidement la question de la traque pour traiter plus volontiers de l'Homme en lutte contre les Elements.

Une fois passé l'effet de surprise apporté par cette rencontre improbable entre Survival et Arty, Essential Killing, trop ou pas assez théorique, sublime mais pas transcendant, couillu mais limité, restera malheureusement à sa place : celle d'une attachante bête à festival...
Antoinescuras
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le 14 avr. 2011

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