Retour à Koker.
Ce qui frappe toujours chez Kiarostami, c'est sa manière singulière de saisir le temps pour appréhender le réel. Son projet de cinéma, c'est de saisir la vie - ou ce qu'il en reste comme ici ; et...
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le 31 janv. 2015
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C’est une petite voiture jaune avec des sièges en cuir noir. Sur le côté droit, le devant est rouillé, alors c’est une petite voiture jaune et marron aussi. À l’avant, il y a un homme, et à l’arrière, il y a un enfant. L’enfant pose des questions, et l’homme y répond. Parfois l’homme ne sait pas y répondre, et l’enfant répond lui-même à ses questions. L’homme s’appelle Farhad, le garçon Puya.
Ils se rendent à Tebek, mais il y a eu un tremblement de terre. L’autoroute n’est ouverte que pour les secours, mais ils trouveront bien quelque chose pour passer. Peut-être qu’ils pourront montrer la photo de l’ami qu’ils vont voir, d’ailleurs il doit bien se porter. Il était surement sorti voir le match à la télé. C’était Brésil – Ecosse. Ou alors était-ce Brésil – Argentine ? Le garçon pense que c’était Brésil – Ecosse, l’homme que c’était Brésil – Argentine.
C’est une petite voiture jaune et marron aussi. Elle traverse une partie de cet Iran touchée par un tremblement de terre. Les villes sont détruites et les grandes routes sont bloquées. Les arbres verts sont toujours là et le ciel bleu aussi. Les paysages défilent par la fenêtre de la petite voiture jaune. L’homme les regardent défiler à l’avant, et le petit garçon les regarde défiler à l’arrière. Des paysages dans ces jolies couleurs des années 80. Des couleurs claires et pales et granuleuses aussi.
Ils se rendent à Tebek pour retrouver deux enfants, deux enfants qui ont joué dans un film. "Où est la maison de mon ami?". Pour y arriver, ils quittent la route principale pour passer par les petits chemins et ils doivent demander leur chemin. Alors les visages marqués et les corps blessés défilent par la fenêtre, en même temps que les paysages. Des femmes qui enterrent leurs morts et des hommes qui accompagnent les vivants. Des hommes qui essayent de réparer ce qui peut bien l’être et des femmes qui portent ce qu’il leur reste à porter.
C’est une petite voiture jaune qui traverse une partie de l’Iran touchée par un tremblement de terre. Parfois elle prend des gens sur le bord de la route pour les avancer de quelques mètres et parfois même elle s’arrête. Alors l’homme et l’enfant rencontrent les gens qui reprennent leur vie, chez eux. Ils nettoient leurs tapis, ils apportent quelques tomates à leurs voisins, ils grondent leurs enfants quand ils font des bêtises. L’homme pose des questions sur les enfants qu’il cherche et sur ce qui est arrivé à tous ceux qu’il rencontre. D’où viennent-ils ? Comment ont-ils survécu ? Les proches qu’ils ont perdus ? Et les gens lui répondent. L’enfant part à l’aventure et pose des questions lui aussi. S’ils ont la télévision ? Si l’eau est potable ? Alors pourquoi elle sort d’un tuyau ? Et les gens lui répondent aussi. Parfois l’homme demande pourquoi l’eau sort d’un tuyau lui-aussi. Alors les gens lui répondent à lui aussi.
Ils se rendent à Tebek et sur la route ils rencontrent Mohamed, un des deux enfants. Il a des grands yeux bleus et pendant le tremblement de terre il regardait le match. C’était Brésil – Ecosse. L’Ecosse avait marqué, et puis le Brésil aussi. L’enfant avait raison, l’homme avait tort. Alors l’enfant est content.
Le tremblement de terre est fini et la coupe du monde n’a lieu que tous les quatre ans. Pour Puya le Brésil gagnera, pour Mohamed ce sera l’Allemagne.
Des milliers de gens sont morts et Kiarostami nous fait sourire. Parce que la vie continue.
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le 17 janv. 2017
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