Un road movie érotico-romantique décomplexé : Quête de soi ou conquête de l’autre ?

Ce road movie mexicain du réalisateur Alfonso Cuarón (Les Fils de l’homme, Gravity, Roma, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban) évoque le temps d’un été, une jeunesse insouciante, vouée au désir, au souvenir, sur une route inconnue à travers le Mexique. Ce film n’a pas seulement valu au réalisateur (également scénariste) le Prix du scénario au Festival de Venise 2002, mais aussi et surtout une véritable renommé tant dans son pays qu’à l’international.


Deux ados issus de la bourgeoisie, Julio (Gael García Bernal) et Tenoch (Diego Luna) couchent une dernière fois avec leurs petite-amies respectives avant qu’elles partent en voyage en Italie. Mais à peine invités à un mariage, ils sont tous deux attirés par Luisa (Maribel Verdú), la femme du cousin de Tenoch. Malgré qu’elle soit mariée, ils tentent de la charmer en l’invitant sur une plage paradisiaque : Boca del Cielo. Après avoir décliné la proposition des deux amis, Luisa décide quelque jours plus tard de les appeler pour partir avec eux sur la route.


C’est d’abord cette adolescence masculine sous testostérone en quête de liberté sexuelle et de voyage qui saute au yeux. Ces jeunes machos intenables sont remplis d’énergie et de vitalité. C’est sûrement là où la liaison peut se faire avec la routine ennuyante de la vie adulte de Luisa (dans la salle d'attente de son médecin, elle fait un test intitulé : êtes-vous une femme satisfaite ?), qui plus est trompée par son compagnon. C’est alors un jeu de piste sensuel qui va débuter entre Luisa et les deus ados Julio et Tenoch. Le voyeurisme des ados curieux fait face à l’isolement de l’adulte cachant une souffrance, pour se mélanger progressivement vers une alchimie intime entre les deux. La caméra filme les relations sexuelles et les larmes avec la même impudeur créée par de légers travellings avant au grand angle qui s’approche lentement des personnages.


Bien que formaliste, Cuarón nous prouve qu’il est capable d’allier cela avec une grande force d’authenticité, notamment avec les relations des personnages entre eux, grâce à l’interprétation du trio d’acteurs et actrice.
La relation amicale entre Julio et Tenoch tient à leur surexcitation commune a l’idée de faire l’amour avec des filles (ils se masturbent ensemble), autant qu’à leur compétition subjective d’ego (ils ont mesurés leur pénis, ils font des courses sans respirer sous l’eau, etc) qui les pousse à demander à leur copines l’exclusivité de leurs relations sexuelles.
La relation de Luisa avec eux est différente. Elle est le sujet de leur désir commun, mais elle est avant tout en contrôle de sa liberté de femme. Délaissée à la maison par son mari Juno pendant que lui va boire et coucher avec d’autres femmes, elle décide sur un coup de tête de partir pour raviver sa vie plate ou l’insatisfaction se fait profondément ressentir. En route, elle va alors entrer dans leur petit monde effervescent, découvrir leur « Manifeste » puéril, et leur mode de vie évasif. Les deux ados, toujours en train de parler de sexe ou de leur copine, Luisa sur qui ils fantasment, fait le premier pas…
“La vie est comme l'écume de la mer. Il faut se jeter dedans.” - Luisa


Ce road trip permet d’évoquer la liberté, l’éloignement de la vie passé vers un présent et un futur à parcourir. Au cours de leur voyage, on découvre le pays avec eux, sous forme d’histoires racontées, de rencontres imprévues, d’objets souvenirs, et de visages qui deviennent vite familier. Cuarón nous emporte dans la voiture sur la route de ses souvenirs personnels. On y trouve déjà l'expérience de la vie et d’un pays, de manière profondément humaniste, comme plus tard avec son film Roma. La caméra filme les êtres, qui par les valeurs de plans assez larges, les rattache toujours au décors, en somme, à leur environnement. Le réalisateur utilise déjà le procédé qui sera développé dans Les Fils de l’homme, à savoir la contextualisation de l’environnement par un cadrage large, lent et précis. C’est par cette force narration de micros histoires par l’image que Cuarón fait preuve de maîtrise incontestable.


Mais c’est aussi et surtout par le moyen de la narration omnisciente en voix-off, rare au cinéma, que le film prend une ampleur remarquable. On découvre alors, par cette voix (dont le principe de l’omniscience semble provenir de la littérature), l’environnement, les petites histoires et pensées de chacun, mais aussi on en apprend sur l’état et le fonctionnement du Mexique. Au fur et à mesure, on ressent l’hypocrisie générale qui enrobe le pays et les personnages : -pour le pays c’est l’oppression politique et les manipulations qui prennent le dessus. -pour les personnages ce sont les secrets qu’ils se cachent entre eux, pour parvenir à leur fins (tout en se réfugiant derrière les faux codes de conduite de leur « Manifeste »). En effet, il semble que l’hypocrisie de tous soit bien dissimulée pour qu’ils finissent par vivre avec. On constate que le travail magnifique sur l’image du film, tourné à 90% en lumière naturelle par le géant Directeur de la Photographie Emmanuel Lubezki, accorde une place d’honneur à l’authenticité, qui contraste pourtant bien avec la réalité des personnages et celle du pays.


Y tu mama tambien est une œuvre d’une richesse qui s’étend au delà de son apparence de film érotique et romantique sur l’adolescence. Grâce à ses procédés de narration variés et originaux, les niveaux de lectures se multiplient, dressant ainsi des portraits forts et profonds. C’est avec un surplomb que l’on découvre ce film. Il nous donne matière à réfléchir et nous fait prendre du recul face aux affaires futiles ou graves des protagonistes, ainsi qu’à la réalité environnante d’un pays débordant de vitalité, mais parasité par la corruption. Malgré tout, cette sublime fresque mexicaine nous fait voyager et désirer, le temps d’un été.


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Psukhe
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le 22 oct. 2020

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