Eternal Sunshine of the Spotless Mind est un film tortueux et torturé, autant par son scénario que dans le choix de sa mise en scène. On sinue dans les synapses et les souvenirs amoureux du protagoniste principal, Joel, incarné par l'excellent Jim Carrey, qui souhaite supprimer définitivement de sa mémoire les souvenirs de sa relation avec Clémentine, magistralement interprétée par Kate Winslet.


J'avais entendu beaucoup de critiques positives à l'égard de ce film, mes expectatives étaient donc assez hautes. Et je n'ai pas été déçue.


Carrey et Winslet nous présentent un film romantique, surfant avec le fantastique, touchant et cru, très loin des stéréotypes du genre : la rencontre des protagonistes n'a rien de féérique, à l'instar de leur vie, banale. Une banalité qui s'incarne dans leur physique. Ils ne sont en rien les modèles du prince charmant courageux et de la princesse aux cheveux blonds et brillants. Au contraire : Joel, homme réservé, se pare, de la tête aux pieds, de vêtements ternes. Clémentine, portant bien son nom, ne quitte quasi jamais ses apparats oranges et renouvelle constamment sa coupe de cheveux en les teignant. Elle passe, chronologiquement, du vert au roux/orange en terminant par le bleu. Et c'est ce qui est touchant. Ce sont des messieurs et mesdames tout le monde, avec leurs peurs et humiliations, leurs pulsions et désirs, leurs faiblesses et défauts. Mais ce sont ces derniers qui briseront et achèveront de consumer la relation de Joel et Clémentine. De ce désespoir, émergera la décision irrémédiable et centrale du film : celle, pour Joel, de laisser le corps médical s'immiscer dans son subconscient et en supprimer les souvenirs de son histoire avec Clémentine.


C'est alors que nous basculons dans le pathétique, le tragique. Immergé entre la réalité et les souvenirs de Joel, le spectateur cohabite sans cesse entre ces deux mondes, le matériel et l'onirique. Mais dans ces deux univers, nous sommes constamment confrontés aux thématiques du couple et de l'amour. Tous les personnages majeur.e.s du film sont, à un moment donné, blessé.e.s, touché.e.s, frappé.e.s, par le sentiment amoureux. Ainsi la focale ne se braque pas exclusivement sur Joel et Clémentine, mais sur tout un microcosme complexe. Les relations amoureuses sont brouillées, enchevêtrées, confuses. Tout un réseau de liens noueux se tisse, reflet de notre immersion dans le cerveau de Joel : le cerveau n'est-il pas, après tout, qu'un réseau immense et complexe de neurones enchevêtrés ?


Cette démarche d'altération cérébrale a, en moi, fait écho aux traitements psychiatriques que l'on imposait aux soi-disant fous et aliénés autrefois. Certes le film présente des méthodes plus "douces" de traitement -autrement dit, aucun électrochocs- et Joel va dans la clinique consciemment et de son plein gré -bien qu'incité par son couple d'amis Rob et Carrie. Pourtant, nous n'en ressentons pas moins la violence du procédé : le sédatif extrêmement puissant ingéré par Joel en est la métaphore. Cette intervention pose également la question de l'éthique en médecine (soulevée ironiquement par les personnages de Stan et Patrick, alors au chevet de Joel, tandis qu'ils parlent des sous-vêtements de Clémentine) : le corps médical est-il dans son droit en s'immisçant au plus profond et au plus intime de l'être humain, à savoir dans ses souvenirs ? Certes, ici les patients sont demandeurs, voyant cette démarche comme une aide. Pourtant, et Joel parvient à le discerner puis à le contourner, l'acte est aussi impudique que violent. Allant jusqu'à l'intrusif et le malsain. La manière dont Mary, Patrick et Stan s'approprient l'appartement, et donc l'espace intime de Joel, en est le reflet. Finalement, nous, en tant que spectateur, nous sentons également intrus, parasite, au sein des souvenirs de Joel.


Bien que cette dimension d'intrusion, constitutive du film (on se rappellera de Clémentine et Joel qui entrent par effraction dans la maison d'un couple) soit malsaine, c'est néanmoins par cette introspection et cette plongée dans ses souvenirs qui permettront à Joel de revivre une deuxième, voire une troisième rencontre avec Clémentine. La deuxième, dans ses souvenirs et de manière antichronologique, et la troisième, avec la scène du train, que l'on découvre dans les débuts du film. Comme un renouveau, une image enregistrée sur une cassette qui ne cesserait de tourner en boucle. Un déjà-vu. Comme on le voit dans la scène finale, pour Joel et Clémentine il est difficile de les aimer. Pourtant ils (re)tentent leur chance et s'abandonnent à nouveau à l'inconnu.


Et vous, qu'en pensez-vous, est-il possible d'oublier d'aimer ?

mutaiowa
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le 15 août 2020

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