Enfin vu ! Dernier film du top 15 de Senscritique qui manquait encore à l'appel, le plus fameux cru de Gondry passe enfin sur l'écran de Voracinéphile. Ancêtre brouillon d'Inception hissant sa légèreté de ton comme tremplin vers le bonheur amoureux malgré les épreuves de la vie et les jalousies d'âmes seules, Eternal sunshine of the spotless mind a effectivement comme atout son manque de moyens, qu'il transcende de façon originale en film labyrinthique, qui prend parfois des airs d'OFNI. Flirtant ouvertement avec la science fiction, à de très courts instants vers l'horreur (des souvenirs sans visages qui ressemblent à des spectres), c'est dans la romance que le film s'épanouit. Pas vraiment la comédie romantique car Jim Carrey, solidement tenu en laisse, se sangle dans son bonnet et se mord la langue pour retenir les vannes et faire couler de temps à autres une petite larme pour titiller la fibre nostalgique du spectateur.


Dans le ton et l'ambiance, tout est fait pour cultiver la légèreté. La musique, souvant constitutée de piano ou de guitare solo, a cette connotation très "ergonomique", tout en douceur qui fait la patte d'un film comme Her (beaucoup plus mélancolique) ou Amélie Poulain (et son accordéon). Le montage aussi, soignant ses transitions entre les différentes visions oniriques pour ne jamais vraiment décrocher. Eternal Sunshine est un smoothie. En termes de rythme et de sentiments également. Il y a des hauts et des bas, mais sur la longueurs, tout finit par se mélanger. Là, certains y verront de la virtuosité, mais je trouve pour ma part que la sincérité s'essoufle au fur et à mesure que les souvenirs disparaissent, et que l'attachement devait alors devenir plus viscéral... non, cela continue dans de nouveaux souvenirs qui n'existaient pas. Alors l'ennui commence à poindre. C'est trop doux et lissé pour que j'y vois du relief, et encore moins une montée.


Le second point noir qui m'a bloqué est plus... philosophique. De par sa structure, l'histoire de ces deux protagonistes, et aussi et surtout celle du médecin et de sa secrétaire, le film valide la théorie de destinée. Peu importe ce que l'on fasse, on sera toujours attiré par les mêmes âmes, même si l'on a des souvenirs différents ou effacés. Le film croyait détenir une idée de génie avec ce concept d'effacer les souvenirs pour effacer la souffrance (et de le casser en disant, hey mais vous vous aimez quand même), mais il ne fonctionne pas dans le monde réel. Son registre sentimental profond devient alors biaisé par son idée, et finalement, Eternal sunshine est bien un rêve, une utopie sans lien avec la réalité. C'est un décalage ultime, qui le différencie radicalement de Her (qui lui est totalement désillusionné sentimentalement, et très empathique avec ses protagonistes). Ici, quelques soient les circonstances, on ne change pas, on aimera toujours les mêmes personnes, et on ressentira toujours les mêmes choses. Une énormité qui est la véritable essence d'Eternal sunshine. Alors oui pour dire que c'est joli, mais ça s'arrête là.


Ce n'est pas vraiment un ratage, c'est qu'il pousse son concept jusqu'au bout, et que sa logique ne me satisfait aucunement. Mais dans sa fuite onirique, le film développe des idées intéressantes. Il est en effet légitime que le "pirate sentimental" soit finalement écarté car à force d'agir ostensiblement comme la femme qu'il convoite, il crée chez elle cette angoisse d'être copiée, de ne plus s'appartenir et d'avoir d'espace privé, intime. Ce mécanisme fonctionne, dans ce contexte comme dans la réalité. Je ne m'aventurerai pas à dire qu'Eternal sunshine est un mauvais film, car il n'a jamais fait la promesse d'être fidèle à la réalité malgré ses efforts pour normaliser la procédure d'amnésie sur ordonnance. Mais il dispose d'une telle reconnaissance pour sa sentimentalité qu'il convient de remettre les points sur les i. Eternal sunshine of the spotless mind est un film joli mais creux, basé sur une idée poétique bercée de belles illusions. Une bluette romantique mignonne et atypique, bien surestimée comme il faut (en même temps, le film mélange SF et sentiments avec un air de poésie pour flatter l'intelligence et la bonne guimauve qui sommeille en nous, difficile de lutter...).

Voracinéphile
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le 28 sept. 2015

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