Plus que que la critique du milieu du théâtre et du cinéma, au delà de l'opportunisme sisyphique, ce que je trouve beau, c'est la pertinence des portraits qui étayent la montée sur les planches d'Eve - surtout celui de Margo. Du mélange toujours flou entre la réalité hors scène ou sur scène, entre la vérité subjective ou celle écrite par un autre, la question s'impose à chacun : qui joue qui à quel moment ?

Margo, en retard à une audition, débarque au théâtre, l'air de ne rien savoir de ce qui se trame dans son dos, traverse les coulisses et joue la naïveté enfantine devant les autres acteurs du drame. Chacun s'éclipse alors que la vérité émerge, chacun sort de la scène du théâtre et de la scène offerte par la caméra. Seule Margo reste sur les planches, criant son désespoir de vouloir rester une star éternelle. Son amant, oublié un instant, est pourtant toujours là, allongé sur le lit du décor. Il s'essaie à une dernière tentative, dit-il, pour convaincre Margo de son amour pour elle. Elle le sait, elle le sent, elle devine son honnêteté, oui. Mais comment croire cet homme si charmant, si raisonné dans sa passion, alors qu'elle-même est perdue dans les affres de ses costumes multiples, que son identité authentique s'est effacée par ses simagrées d'actrice-star. Qui aime-t-il, mon amour, alors que je ne sais plus qui je suis. Certes accentuée par son métier, cette non-compréhension de soi (universelle ?) me semble d'une justesse inouïe dans cette scène. Margo reconnaît sa bêtise, son aliénation à une fausse croyance, mais ne peut s'en défaire ; Bill part.
Et après, dans le calme froid d'une voiture en panne, ce n'est plus l'actrice qui joue et qui mélange ses rôles, c'est la femme qui parle. Margo se questionne sur ce "rôle" particulier, sur sa position féminine, avec une sensibilité qui me touche une fois de plus (sûrement d'autant plus que j'étudie plus ou moins tout cela en ce moment - ce film tombe à pic dans mon parcours de recherches personnelles).

Je me dis que Mankiewicz, dont c'est mon premier film, est un fin observateur de la nature humaine. Je rigole doucement en remarquant qu'en 1950, il en est à son deuxième mariage et je me dis que son regard acuité sur les femmes ne vient pas de nulle part.
slowpress
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le 6 juin 2014

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