Caleb n’en revient pas de sa chance lorsqu’il gagne un séjour dans la demeure secrète du patron de la boite, le milliardaire de génie Nathan. Sur place, il ne cache pas son excitation lorsqu’il apprend le sujet des expériences de son mystérieux employeur. Mais la joie des débuts va peu à peu céder des questions plus dérangeantes…


La vallée de l’étrange, c’est le nom qui a été donné pour désigner ce malaise que l’on peut éprouver face aux robots, cette gène face à quelque chose de non vivant, qui exprime pourtant des caractéristiques du vivant, et plus spécifiquement des êtres dotés de conscience, à savoir exprimer des émotions, et surtout nous en faire ressentir.
Ce malaise que ressent le jeune informaticien Caleb, le spectateur le ressent aussi. Face à une créature unique en son genre, ni humaine ni totalement robotique ; plus qu’une intelligence artificielle, une intelligence non humaine. Il est venu pour la tester, mais au final c’est elle qui le teste, le juge, lui pose des questions. Le scientifique est devenu le cobaye, le testeur le testé.


Le thème des robots est celui que je préfère en science fiction, parce qu’avec les avancées de la technologie, il est celui qui dans un temps proche dévêtira sa tenue d’imaginaire pour épouser la réalité. Également, il brasse toute une foule de réflexion, des dangers des technologies jusqu’à des questions plus philosophiques, tel qui sommes nous ?
En effet lorsqu’il interroge Ava, Caleb est confronté à sa propre humanité, il est forcé de s’interroger sur ce qui le défini lui, en tant qu’être humain, vivant, doté de conscience. Qu’est-ce qui le différencie vraiment de cette créature, qui parle et semble penser comme nous ? L’image qu’il renvoie dans des yeux différents des nôtres est une des origines du malaise ressenti.
Dans la veine de Real Humans, « ex machina » se pose dans la réflexion intimiste et réaliste sur ce conte de Frankenstein moderne.


Caleb noue une relation ambiguë avec l’entité robotique. Il commence à ne plus l’apercevoir comme un objet d’étude. Il commencerait même à éprouver des sentiments. C’est qu’Ava, mis à part ses fils et ses membres métalliques qui trahissent sa nature artificielle, a un visage humain, capable d’exprimer des émotions, du moins de reproduire toute une gamme de micro-expressions typiquement humaines. Quand elle s’habille avec une robe, la ressemblance avec un être humain fait de chair est troublante. Mais ce sont des sentiments à demi-avoués, Ava n’est qu’une machine, comment pourraient-ils avoir une relation ? Nathan, son créateur, l’informe qu’elle a été conçue pour pouvoir avoir une vie sexuelle, grâce à un vagin artificiel, et même éprouver du plaisir. Mais l’idée même semble abjecte et repoussante.
Comme dans Her, On suit donc avec intérêt cette relation, craignant qu’elle finisse mal mais désireux de voir comment elle va évoluer.


Ses émotions, Ava peut les exprimer grâce aux millions de photos prises avec la profusion d’appareils connectés actuellement utilisés. Il faut savoir que grâce aux réseaux sociaux, c’est une véritable bibliothèque de visages humains qui existe, et qui a déjà permis au développement d’un logiciel de reconnaissance faciale, en lui donnant accès à une multitude de caractéristiques visuelles. Les réseaux sociaux et moteurs de recherche constituent donc une gigantesque base de données qui en dévoilent beaucoup sur nous, bien plus que ce dont nous avons conscience, plus encore quand les concepteurs l’exploitent plus qu’ils ne devraient…


Mais tout l’intérêt du film ne réside pas dans cette thématique, qui après tout a déjà été traitée maintes et maintes fois. Non il réside aussi en l’ambiance angoissante qui émane du lieu, cette espèce de forteresse sous-terraine high-tech isolée du monde, et du maître des lieux, le génial inventeur Nathan, à la personnalité exubérante. Une exubérance qui a même tendance à tirer vers le dérangeant et le malsain. Nathan boit tous les soirs, il déclare vouloir une relation amicale, mais se montre parfois dominateur. Très rapidement, Caleb se pose des questions, il se demande quelle est la raison exacte de sa présence ici. En quoi consiste exactement le test ? Quel est son rôle, est-il lui aussi testé à son corps défendant ? Pourquoi Ava le met-elle en garde contre Nathan ? Que renferme-t-il derrière ces portes blindés que lui seul ne peut ouvrir ?
Au grès des couloirs froids et anxiogènes, isolés du monde, le malaise grandit à la fois de sa relation avec Ava et Nathan. Et les jours qui passent n’arrangent rien. Caleb garde pour lui ses soupçons et son trouble intérieur, mais Nathan n’est pas un génie sans raison, il semble en savoir plus que ce qu’il ne prétend. Incapable de dormir dans sa chambre sans fenêtre, il fixe les images d’Ava renvoyés par la caméra. Ava manifeste ce qui ressemble de toute évidence à des émotions, et présente de manière assez certaine une conscience, mais ses émotions sont-elles vraies pour autant, ou les simule-t-elle ? Peu à peu, il prend conscience de tout ce qu’impliquent la création d’une telle créature, le pouvoir de créer la vie, le pouvoir d’un Dieu. Mais Nathan semble ne pas avoir le même point de vue sur la responsabilité d’un tel acte et ses conséquences. Mais de la même manière que les dinosaures de Jurassic Park se reproduisent malgré les précautions des biologistes, la vie ne se laisse pas enfermé, la vie dépasse les limites qui l’ont vu naître et les conditions de sa création. Pourra-t-il s’opposer à Nathan s’il le fallait, qui contrôle absolument tout dans ce lieu contre-nature ? Un huit-clos pesant, qui ne pourra déboucher sur une fin heureuse pour les 3 protagonistes…


Le moment où Caleb est découvre la vérité est réellement perturbe, une scène digne de Black Mirror tant les prouesses apportées par la technologie dévoilent un côté moralement choquant. Mais la fin me dérange et pas pour de bonnes raisons :


Pourquoi avoir fait en sorte qu’Ava laisse Caleb sur place, au risque qu’il meurt enfermé ? Montrer qu’une IA peut être aussi mauvaise qu’un être humain, montrer les conséquences que peut avoir la création d’une pareille créature ? Jusqu’à présent, le film évitait le syndrome de Frankenstein que dénonçait Asimov et que l’on retrouve si souvent, à savoir une créature qui se rebelle contre ses créateurs. La fin contredit cette orientation et semble mener vers un choix plus classique. Mais surtout, on ne comprend pas vraiment pourquoi elle agit de la sorte. Avait-elle seulement conscience de son sort ? Ou s’était-elle complètement désintéressée d’elle pour profiter de sa nouvelle liberté conquise ? Cruauté ou indifférence ? Au final, Ava est-elle dangereuse ou a-t-elle juste cherchée à vivre ?


Tout n’est pas parfait pour autant dans ce premier film de Alex Graland, réalisateur jusque là inconnu mais prometteur. Si sur le plan thématique « ex machina » s’avère très intéressant en ouvrant une réflexion appuyée sur un thème propice à soulever beaucoup de questions, sur le plan cinématographique le film pèche par des problèmes de rythme, dont pâtit les tentatives de créer une ambiance angoissante et oppressante. Mais l’ambiance est néanmoins présente, reflétant à la fois le malaise dû à la nature d’Ava comme du mystère qui entoure le lieu et son créateur, renforcé par l’isolement. Le budget limité est visible lors des rares scènes extérieures, obligeant le film à se contenter d’un décor limité, bien que suffisant pour l’histoire qu’il raconte.


Au final, ce premier film reste une réussite, qui mérite de figurer parmi les nombreuses œuvres du genre, malgré quelques maladresses dont une fin un peu incompréhensible. Une réflexion troublante autour d’un thème qui n’est pas prêt d’être épuisé…

Enlak
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le 13 juin 2015

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Enlak

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