Experimenter est un film de Michael Almereyda. Il se sert du médium cinématographique pour rendre à la fois hommage et rendre compte de ce qu’était l’expérience de Milgram. Le cinéaste nous propose son film comme un cours de psychologie sociale, comme on peut en avoir à l’université. Mais en suivant l’initiateur de cette expérience où il cherchait à montrer le degré d’obéissance d’un individu face à une autorité qu’il peut juger légitime, on a une toute autre perspective. Stanley Milgram souhait analyser le processus qui soumet l’individu à l’autorité et comment l’individu peut à travers cette autorité obéir à un ordre qui est contraire à sa morale .


Milgram compose son expérience ainsi, il y a l’élève (qui est un complice) qui doit apprendre toute une série de mots et si il se trompe l’enseignant doit mettre une décharge électrique à son élève. Evidemment, les deux personnages sont séparés par une glace sans teint et les décharges électriques ne sont pas réelles mais l’enseignant entend les faux bruits que fait l’élève. Il y a aussi un troisième protagonistes qui est lui aussi un complice, lui est l’expérimentateur. Il fait figure d’autorité. Les « enseignants » se retrouvent dans un cas moral. A chaque mauvaise réponse que l’élève donnera, le professeur devra mettre une décharge électrique plus forte de 40 volts à 240 volts. Le complice qu’est l’élève hurle et supplie l’enseignant d’arrêter sa souffrance jusqu’à ce que plus aucun bruit ne provienne. La fausse figure d’autorité qu’est l’expérimentateur le pousse à continuer, et Milgram va se rendre compte au fil des expériences qu’il mène à Yale que les « enseignants » vont aller jusqu’au bout. L’expérimentateur les pousse dans leur dernier retranchement en s’adressant de plusieurs manières au professeur de « veuillez continuer, s’il vous plait » jusqu’à « vous n’avez pas le choix, vous devez continuer ». Après l’entretien, le « professeur » était rassuré, Milgram expliquait qu’aucune décharge électrique était appliquée et il expliquait que c’était un comportement normal. Voilà le déroulement de l’expérience de Milgram. 



Le film nous plonge dans cette expérience qui fit scandale, qui est troublante et qui est encore aujourd’hui critiqué à cause de la manipulation qu’elle induit. Il permet de rendre compte de la vie et des théories de Stanley Milgram, auteur de La Soumission à l’autorité (1974) mais aussi de nombreuses autres expériences comme celle du « petit monde » ou celle de la lettre perdue. Le film n’est pas exceptionnel mais a le mérite de parler de ce sujet qui nous touche tous les jours ce que les anglais appellent « the elephant in the room », c’est à dire un problème évident qui nous concerne tous les jours mais auquel nous refusons de discuter ouvertement.




Le point culminant de toutes ces expériences est qu’elles sont vérifiables tous les jours, dans l’Histoire et que penser l’autorité et la rejeter devraient plus être un lieu commun que l’idée de quelques-uns. Milgram était d’originaire d’une famille juive, il fut marqué de toute évidence par la Shoah et le régime totalitaire qu’était le nazisme. Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem qui a suivi le procès d’ Adolf Eichmann, instigateur de « la solution finale » et qui s’occupa de la déportation. Adolf Eichmann était un de ses hommes les plus normaux, il ne présentait ni signe de troubles mentaux ni montrait des signes profonds d’antisémitisme selon Hannah Arendt. Ce procès lui permit de théoriser ce concept la « banalité du mal ». Elle entend par là, que l’être humain n’est ni bon ni mauvais mais qu’une simple chose peut les faire basculer et les pousser à commettre des crimes odieux. Eichmann était un homme avant tout préoccupé par sa carrière, c’est ce qu’elle remarque en suivant le procès pour le New-Yorker. Il n’a jamais été question pour moi qui écrit ses lignes ou celle d’Hannah Arendt de minimiser les crimes qu’Eichmann et ses compères ont commis au nom d’une idéologie raciale. Eichmann dira la chose suivante lors de son procès : « Je ne fais qu’exécuter les ordres ». Il avait donc une confiance aveugle dans ce que le régime nazi et ses supérieurs lui disaient.


Stanley Milgram à travers son expérience nous le prouve avec son expérience, le « mal » peut nous atteindre lorsqu’une autorité se fait de plus en plus forte. Il montra que 65% des sujets étaient prêts à continuer à envoyer des décharges. Le socio-psychologue Stanley Milgram développa un autre concept qui est celui de l’Etat agentique, l’individu n’est plus responsable de ses actes, il se contente d’obéir et de déléguer la responsabilité à l’autorité.


Comme je le disais, on le voit encore aujourd’hui avec toutes les démarches administratives au combien kafkaïennes. Un exemple tout simple: lorsqu’on appelle sa banque, que nous sommes à découvert et que celle-ci prélève des agios, le banquier que nous avons en face de nous nous dit « Je ne peux rien faire, il faut voir avec ma hiérarchie ». La bureaucratie marche de la même manière, par une succession de maillon indissociable les une des autres qui décharge sa responsabilité sur les autres. La bureaucratie est un moyen évident de conserver l’ordre établi et reste un moyen d’asseoir une autorité légitime ou non. Ce qui vient aussi à l’esprit, c’est ce qui se passe actuellement en France: c’est l’Etat d’urgence et la foi aveugle que les gens ont en nos « représentants » politiques, 85% de la population est prête à renoncer à des libertés pour plus de sécurité.


Or, comme l’a montré Milgram, l’autorité aveugle et quand on ne voit rien, que Manuel Valls et d’autres politiques récusent la volonté de comprendre, expliquer ce qui pousse ces jeunes dans les bras du djihad. "Expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser » a dit récemment Manuel Valls. Nous sommes en pleine expérience de Milgram, la société se replie de plus en plus sur elle même montrant du doigt l’autre comme un danger, est prête à soutenir des assassins, des pilleurs de richesse. L’islamophobie d’Etat se fait de plus en plus pressante, certains souhaitent donner plus de pouvoir à la police qui assassine, asseoir leur pouvoir, le néolibéralisme qui montre de plus en plus souvent de manière décomplexée ses dents. Nous devons tirer des enseignements des textes d’Hannah Arendt et des expériences/textes de Milgram.


L’abolition de l’autorité se fera d’abord par nous, avant tout pour nous en comprenant et en expliquant les mécanismes de l’obéissance à une autorité. 

Il est de toute évidence que le film est intéressant pour les thématiques qu’ils abordent, il permet de découvrir Stanley Pilgram et de s’initier à la psychologie sociale. Ses expériences comme dit précédemment permettent la compréhension du rapport de l’individu à l’autorité et c’est en cela que ce film est nécessaire, il est un support de réflexion.

balconenforet
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le 27 janv. 2016

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