Le concept du serial-killer a fait naitre simultanément celui de la haute fascination morbide du public, générant une littérature inépuisable sur le sujet, et tous les fantasmes possibles et inimaginables dans les territoires de la fiction. Exploiter ce thème, c’est combiner la méthode au service du mal, l’intelligence raffinée qui joue du rite, échappe un temps aux autorités pour accédera au mythe tout en exploitant la part la plus sombre sommeillant en chaque individu. Le serial killer est donc, sur le papier, un sujet idéal pour construire une trame, épaissir un personnage et susciter la curiosité du personnage.


Le nouveau film de Joe Berlinger, déjà réalisateur du docu Netflix sur Ted Bundy, s’attarde sur cet aspect : alors qu’une biographie établit chronologiquement les faits, il prend ici le parti de coller à la trajectoire de Bundy, et plus particulièrement sa compagne, pour expliquer l’aura d’un personnage et la capacité qu’il aura à vivre dans le déni.


C’est ce pas de côté qui fait le charme du film, thème qui est justement son pivot, à savoir le charisme. Charisme tout d’abord d’un biopic jouant de toutes les armes à sa disposition, entre reconstitution des 70’s finissantes, musique de circonstance et belle gestion des ellipses, pour une connexion directe à la pulsation d’une époque incarnée par des comédiens impeccables : c’est tout simplement bien fait, un brin poseur, enlevé, et en totale adéquation avec le personnage qu’on est venu nous vendre, une malice qui va donc au-delà du simple premier degré. En traitant une intrigue qui prend tous les airs d’une romance broyée par l’injustice sociale du système, le film déplace les enjeux et joue une partition inattendue, laissant même croire un temps à un nouveau récit dans lequel l’innocence du protagoniste pourrait finir par être établie. Mais c’est justement là que se joue la posture habile car ambivalente imposée au spectateur : tout le monde sait à qui nous avons affaire, parce que, justement, il s’agit d’une légende dans le monde des serial-killers.


En alternant le questionnement et l’empathie, en sondant la dépendance affective de sa compagne et l’amour apparemment sincère qu’il lui voue, le spectateur se retrouve dans une position en tout point similaire à celle de ces jeunes groupies venues assister au procès, et qui avoue être autant attirées par la figure du possible martyre innocent (car « trop beau ») que par celle du mal aussi effrayant qu’excitant.


Alors que le récit joue de l’alternance entre madame restée sur le carreau et monsieur emprisonné « à tort », la construction se fait sur la communication. Celle qui, dans l’ombre, rumine et ne peut passer à autre chose, face à l’autre qui, en pleine lumière, et lors d’un procès retransmis à la télévision, assure le show de son innocence avec un panache qui force l’admiration. Zac Efron se fait plaisir, et il aurait tort de s’en priver : son personnage est réactif, brillant, et, surtout, parvient à construire une façade à laquelle il pourrait lui-même croire. La scène où il vole la vedette au shérif ayant mis en scène sa mise en accusation publique et télévisée en est un des bels exemples : elle dit son talent, mais, surtout, la manière dont le système a pris conscience de l’arme absolue qu’est la complicité des médias.


Au terme de cette lutte par écrans interposés, la confrontation finale, à travers la vitre d’un prétoire, apporte la conclusion attendue et la vérité crue : dans l’ombre, sous les néons, en face à face ; une brève rupture dans la posture du déni, écrite dans la buée éphémère, et qui donne accès aux abîmes du barbare tout comme au calvaire de ceux qu’il a détruits psychologiquement.


Le générique final, qui tente de prouver la véracité de toutes les scènes en diffusant de réelles images d’archive, cède à une tentation assez pénible et dispensable, et laisse malgré lui entendre que le documentaire se suffisait à lui-même. C’est dommage, car c’est justement par le parti-pris de la mise en scène, de la diversité des registres, de l’artificialité assumée de l’écriture et du jeu des acteurs que cette réflexion sur le rapport à la vérité prend tout son sens.

Sergent_Pepper
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le 13 mai 2019

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Sergent_Pepper

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