Le dernier film de Kubrick : un héritage monumental et une fresque encore une fois unique.

Kubrick, alala... Kubrick. Cinéaste mystérieux, adulé par tous les réalisateurs du nouvel hollywood, hai et jalousé par d'autres réalisateurs, Kubrick était LE réalisateur du 20e siècle. S'il y avait bien quelqu'un qui définissait la notion de cinéma, c'était lui. Un artiste indépendant total à partir de Spartacus, qui va pondre des œuvres qui ont fait date, peut importe le genre, le contexte, l'endroit. Des oeuvre intemporelles, exceptionnelles par leur message, leur complexité, leurs nombreux thèmes abordés, et les nombreuses innovations techniques et filmiques qui en ressort. L'héritage de Kubrick est considérable, démesuré : tout cinéphile ou réalisateur qui se respecte a vu au moins une fois un de ses films, tous les grands réals d'aujourd'hui (Lynch, Spielberg, Lucas, Nolan, peut- importe) se sont inspirés de son travail . Le plus incroyable dans tout cela, c'est que l'impact et l'aura qu'avait ce réalisateur très atypique n'a fait que grandir, ses films n'ayant pas vraiment pris une ride.
Kubrick révolutionnait quasiment le cinéma à chaque long- métrage, chaque démarche était précise et cohérente, chaque plan, cadrage, ou décors était le fruit d'un travail gigantesque. Kubrick était un génie, indéniablement. Il suffit de voir quelques making- of pour voir qu'il maîtrisait tout, de la réalisation à la production en passant par l'adaptation, la photographie, les costumes, les décors, même la publicité et la distribution. Ses films étaient sa vision, son expression, souvent sujet à polémique, mais finalement qui ont laissé une empreinte majeur, comme le personnage Kubrick en lui-même.
Souvent critiqué, il a pris sa revanche : depuis sa mort, tout le monde le loue (c'est même bizarre, d'ailleurs).
Après 50 ans de carrière, et seulement 12 films (mais quels films !), il tire sa révérence avec A.I mais surtout Eyes wide shut, qui alimentait les rumeurs les plus folles dans un tournage interminable, Kubrick qui refaisait 50 fois la même scène (mais il avait l'habitude), ou Cruise et Kidman poussés à bout qu'ils divorceront quelques mois après la sortie du long- métrage.
Eyes wide shut, film testamentaire de Kubrick, devait être celui qui devait sublimer l'oeuvre total de son auteur incroyable : je l'ai vu une première fois, je l'ai détesté. Cruise qui faisait semblant d'être torturé, Kidman simulant très mal une défonce au joint, les seconds rôles (mis à part Pollack dont j'ai un très grand respect) étaient à la limite du surjeu, une réalisation banale, et un pitch plutôt à chier. Je l'ai très mal pris, lui qui disait que c'était le meilleur film de Kubrick. Je me suis dit : pourquoi j'ai regardé pendant 2h30 une histoire d'orgie et de couple qui ne sert à rien ? Où était le Kubrick qui m'emportait dans d'autres univers, celui de la peur avec Shining, celui de la comédie avec Dr Folamour, celui de la SF méta avec 2001, celui qui me fascinait ?
Trop lent, trop vieux, peut- être. Puis je l'ai revu une deuxième fois, une troisième fois, et bizarrement je l'ai commencée à l'apprécier : Eyes wide shut n'est pas son meilleur film comme il le disait, mais c'est sans doute celui qui le ressemble le plus. Typiquement unique, typiquement Kubrickien.
Au fur et à mesure des visionnages, Eyes wide shut nous intrigue, nous obsède, nous fascine. Le scénario, que l'on aborde simplement, nous embarque dans un thriller érotique très complexe, entre rêve et réalité, fantasme et désir. La réalisation nous envoûte dans ce conte aussi repoussant qu'excitant, la musique nous transporte, la direction d'acteurs en devient excellente, les performances de Cruise et Kidman sont plus que crédibles (mention spéciale à Pollack, juste énorme !) : tout ceci pour arriver au climax du film, la scène de l'orgie collective d'une secte mystérieuse, pour moi la scène la plus étrange et la plus énigmatique de toute l'oeuvre du cinéaste. Hypnotique, on assiste à un spectacle froid, superbement bien filmé et incroyablement trouvé musicalement. On est bouche bée, face à un truc qu'on n'est pas prêt d'oublier.
Film transgenre complexe sur l'histoire des errements du jeune et beau Bill Hardford dans la jungle froide et terne de New York, Eyes wide shut est aussi un film global ultra référencé sur l'ensemble de la carrière du cinéaste, comme s'il avait prévu d'arrêter sa carrière après : les droogs d'Orange Mécanique sont retrouvés lorsque Bill est bousculé en pleine rue, Barry Lyndon avec les costumes dans la boutique du serbe et le grand château sont évoqués, Lolita est incarné par la jeune fille du boutiquaire voulant s'envoyer en l'air avec des clients, etc.
Eyes wide shut est aussi un pamphlet énigmatique ouvert sur la sexualité de chacun, sur la perception du rêve et de la réalité de chaque individu, mais aussi sur la condition sociale puisque la société secrète semble être l'ultra- élite de cette ville. Le thème habituel de Kubrick qui est la dualité se retrouve particulièrement bien : les deux soirées, l'une chez Ziegler et l'autre dans le château, semble se répondre puisque la secte fait bel et bien écho aux amis de Ziegler, richissime patient de Hardford, mais aussi les apparences et la réalité, incarnés par le couple Cruise/ Kidman qui sont jovials à la soirée de Ziegler mais en pleine crise d'identité à leur domicile.
Il y aura trop à dire sur ce film symbolique et magnétique, tant les thèmes abordés et la signification des symboles laissés par Kubrick sont importants... Kubrick nous livre comme à son habitude de nombreux indices et peu de solutions pour comprendre tout le film, l'interprétation doit être le fruit du spectateur. Mais là, les solutions sont minces et très peu pertinentes avec un final peu à la hauteur de toute la grandeur d'Eyes wide shut : Hardford commence à se poser des questions sur cette société secrète, lorsqu'il va voir Ziegler qui lui dit d'oublier tout cela, il accepte un peu avec des remords. Mais quel est cette société ? Ont-ils tué la femme qui a sauvé Bill ou s'est- elle suicidé ? tout ceci n'était qu'un rêve ? Tant de questions sans réponses puisque Bill ne va pas aller au bout des choses, et le film s'arrêtant sur un "fuck", Kubrick s'autorisant à faire un dernier bras d'honneur à ses détracteurs pour montrer que son oeuvre n'est rien d'autre qu'un fameux tableau d'humour grinçant.
Ce film a tout de Kubrick : ses obsessions, ses acteurs au jeu très statique, ses critiques comme ses moments de grâce intemporels, ses défauts comme ses scènes cultes, ses interprétations les plus folles, ses travellings géniaux, sa musique encore une fois parfaite, ses symboles et détails qui foisonnent son oeuvre. Kubrick, qui était déjà un personnage mythique du cinéma, devient avec ce film une légende intemporelle et tout simplement une étoile au- dessus de toutes les autres, qui va scintiller encore pendant longtemps, très longtemps.
Même si finalement j'ai seulement trouvé qu'Eyes wide shut était un bon film, je ne serais même pas étonné que dans 100 ans on reparlera de Kubrick et de ses mystères, de cet artiste exceptionnel qui aura marqué à jamais le cinéma mondial.

Mathieu_Renard
7
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le 8 avr. 2015

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Matt  Fox

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