Quand Banksy, icône du Street Art, détourne un documentaire dont il était censé être le centre d’intérêt pour le retourner sur Thierry Guetta, alias Mr Brainwash, documentariste amateur se rêvant en nouvelle star du monde de l’art… Sous ses airs de docu sympathique et branché, Faites Le Mur dissèque avec humour les dérives d’un marché à court d’artistes et d’idées, où les plus malins ne sont pas forcément les plus talentueux.

C’est l’histoire d’un mec qui aimait tellement les artistes qu’il voulut en devenir un. Ca pourrait être une fable pleine de belles leçons de vie, sauf que la morale de Faites Le Mur aurait fait s’étrangler La Fontaine : dans le monde impitoyable de l’art contemporain, peu importe le talent, pourvu qu’on ait la tchatche, les réseaux et un culot hors du commun. Ladies and gentlemen, voici l’histoire plus ou moins vraie de Mr Brainwash, racontée avec un beau sens de l’humour et de la dérision par le génial Banksy, probablement le plus brillant Street Artist de sa génération.

Faites Le Mur commence à la manière d’un documentaire sympa et sans enjeu, comme on en croise parfois au gré des zappings tardifs sur Paris Première ou Arte (on se croirait souvent dans un sujet de l’émission Tracks). Au travers de nombreuses images d’archives entrecoupées de témoignages, le film suit le parcours d’un certain Thierry Guetta, prototype du faux branché parisien vaguement spécialisé dans la mode, émigré à Los Angeles avec femme et enfants et passionné de culture urbaine. S’il faut reconnaître un talent à Thierry Guetta, c’est celui d’avoir du flair. Assorti à une ténacité hors du commun, cette capacité à saisir très rapidement ce qui fera les tendances de demain le poussent à se passionner, au début des années 2000, pour le mouvement naissant des street artists.

Pochoirs, collages, bombes de peinture, mosaïques ou autres, disséminés aux quatre coins des villes, sur les murs, les sols ou les toits : l’inventivité folle de ces doux dingues en marge des lois ne semble avoir aucune limite. En découvrant son cousin à l’oeuvre (une des stars du genre, répondant au doux pseudo de Space Invader, comme les personnages du jeu vidéo des années 1980 qu’il accroche un peu partout dans les grandes capitales), Thierry Guetta décide de le filmer partout où il va. Très rapidement, son champ d’action s’étend à d’autres artistes, aux États-Unis ou ailleurs ; il accumule des heures de films, autant de documents sur un genre artistique en pleine explosion, que le monde très officiel de l’Art regarde avec un mélange de dégoût et de fascination : cet art des rues accessible à tous, qui n’est finalement la propriété de personne, a-t-il une valeur marchande ?

Pour Thierry Guetta, le Saint des Saints s’appelle Banksy. Dans le petit univers des cultures urbaines, c’est une star internationale. Dans son Angleterre natale, il gratifie les murs et les rues de ses collages à la poésie brute, et déchaîne les passions. Son plus gros coup : détourner la très officielle Tate Gallery de Londres en y glissant, au nez et à la barbe de tous, ses propres œuvres, pour le moins… décalées. Sorte de Robin des Bois de l’art, Banksy est un Dieu vivant pour Thierry Guetta ; lorsqu’il parvient à le rencontrer et le filmer (à visage couvert), Banksy accepte de jouer le jeu… Fasciné par son idole, Guetta va vite perdre les pédales et se découvrir une nouvelle vocation : artiste tu es, artiste je serai. Banksy, expert des détournements des codes visuels qui régissent notre quotidien, va en profiter pour retourner la caméra sur celui qui le filme depuis plusieurs mois : le projet Faites le mur (Exit Through the Gift Shop en V.O., ce qui signifie « Sortez en passant par la boutique de souvenirs ») est né.

Tout cela est amusant, édifiant et très probablement faux, bien entendu. Si Thierry Guetta existe bel et bien et si son alter ego Mr Brainwash a effectivement explosé sur la scène artistique en organisant un énorme coup mégalo à Los Angeles (une expo gigantesque uniquement basée sur le buzz, puisque presque personne n’avait entendu parler de lui avant), on peut légitimement supposer que tout le projet est un immense traquenard organisé par Banksy et sa bande, pour mieux moquer un milieu agonisant qui en vient à vendre ses propres œuvres des millions d’euros lors d’extravagantes enchères, quand celles-ci sont « exposées » gratuitement sur les murs décrépis des quartiers de Londres.

Mais la blague a beau être énorme, elle fonctionne à plein régime et le film participe brillamment à la démonstration : en lui donnant la forme d’un reportage télé, Banksy ajoute une couche supplémentaire à son trompe-l’œil et parvient à dresser un portrait de sa communauté tout en sensibilisant le spectateur aux règles qui régissent les milieux artistiques et ceux qui en vivent. À ce titre, le montage de l’exposition finale, et le vernissage qui s’ensuit, constituent le climax délirant et orgiaque d’une satire cruelle orchestrée par un artiste qui a érigé le détournement en art, et donc en acte politique et civique. Pour rappel, Mr Brainwash se traduit par « Monsieur lavage de cerveau »…

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Auteur : Wesley
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le 2 nov. 2012

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