Une révolution dans le monde de l'animation...

"Fantasia" est une oeuvre on ne peut plus avant-gardiste. Si aujourd'hui, mettre des images sur une musique afin de l'illustrer n'a plus rien d'original, en 1940, il s'agissait tout simplement d'une première ! En mariant ses passions pour l'animation et la musique, Walt Disney a inventé le concept des clips musicaux, bien avant l'apparition de la télévision sans les foyers et des chaînes musicales. En choisissant, de plus, des morceaux classiques extrêmement connus, il a crée une oeuvre de vulgarisation de la musique classique, par définition un peu ellitiste, charmante, variée et parfaitement maîtrisée. L'importance de Fantasia dans l'animation ne peut être ignorée tant son concept est original et sa qualité haute. Il m'est d'ailleurs bien difficile d'aligner mes mots quant à cette oeuvre qu'on ne peut vraiment pas envisager comme les autres...
Pour parler de Fantasia, il convient en effet de prendre chaque morceau indépendamment les uns des autres car chacun est très différent du précédent.


Le premier court-métrage qui nous est présenté n'en est pas vraiment un, puisque il ne met en scène que des tableaux abstraits. Lignes, formes géométriques, vagues et autres couleurs donnent vie de manière suggestive à la "Toccata et Fugue en Ré Mineur", de Bach. Cette séquence nous plonge lentement dans l'expérience très forte que provoque la musique classique et l'animation, officiant en guise de porte d'entrée dans le monde onirique. Il illustre également les propos explicatifs donnés précédemment sur l'émotion provoquée par un concert, mais aussi sur le concept de "Fantasia" en tant que mise en image de la musique. Sur cette séquence il est difficile de juger de la qualité artistique des dessins, ceux-ci étant abstraits, mais sa qualité didactique est certaine : en mettant en images les choses qui viennent à l'esprit des créateurs, nul discours n'est necessaire pour faire comprendre aux non-initiés et a priori aux enfants le pouvoir de la musique ! Plus didactique encore est la petite séquence de la "ligne du son", en milieu de film. En effet, cette ligne n'est autre que la figuration de l'amplitude des ondes sonores, selon l'instrument utilisé, ses oscillations sont en rapport direct avec les vibrations sonores de chaque instrument. Un moyen simple et amusant (la ligne sonore est personnifiée et affublée d'un caractère timide) de faire comprendre la nature du son. Mais l'intérêt de Fantasia est surtout à rechercher dans ses véritables courts métrages n'ayant plus rien d'abstrait.


Le premier d'entre eux est le célébrissime "Casse-Noisette" de Tchaïkovski. Prenant le contre-pied de ce que l'on attend logiquement de ce morceau, Disney et son équipe mettent en scène la façon dont chaque saison succède à la précédente, magnifiant la nature au moyen de la magie. Des fées se préoccuppent de modifier le paysage tandis que fleurs, poisson et champignons dansent sur la musique, reprenant, inventivement, des danses traditionnelles à la russe, à l'orientale, mais aussi à la chinoise, cette dernière scène étant la plus emblématique du morceau à cause de l'un de ses danseurs, le plus petit champignon, toujours un peu décalé par rapport aux autres et à la musique. Instantanémment, il en devient adorable et complètement attachant alors même qu'il n'apparaît que quelques minutes ! Ce morceau remarquablement animé est superbe, diablement inventif, mais puisqu'il se présente le premier, il ne parvient pas tout à fait à nous transporter et n'est donc pas le plus inoubliable du film. Dommage, il en a tout le potentiel !


Le second court-métrage est le plus célèbre, puisqu'il met en scène Mickey, devenu apprenti-sorcier, en proie à la magie qu'il a usurpé, dépassé par la situation qu'il a lui-même crée. Véritable histoire aux airs de fable, on y retrouve drame et comédie comme dans tout long-métrage. Mickey y rayonne de bout en bout, parfaitement animé, parfaitement muet. Il y explose son déjà conséquent capital sympathie dans ce rôle de jeune apprenti maladroit et peu réfléchi. Ce morceau est évidemment très agréable, et pourtant, il n'a pas forcemment la force de certains autres courts-métrages.


Tout le contraire est "Le Sacre du Printemps". Sur cette musique de Stravinsky, plus de place pour l'humour. Dans une optique entièrement didactique, la séquence nous présente l'histoire de la planète, de sa création à la disparition des dinosaures, en passant donc par les premières formes de vie, premiers poissons, etc... Bien sur, de nos jours, son intérêt scientifique n'est plus si important, tant les découvertes sur les premiers temps de la terre se sont accéléré depuis les années 30. L'apparence de certaines créatures, de certains dinosaures, est donc datée, tout comme l'est manifestement la disparition mise en scène. Néanmoins, la tension de ce morceau est extrêmement forte, tant de par la violence des scènes représentées (la chaîne alimentaire y fonctionne à plein régime) dont l'acmé est sans contestation le combat tyrannosaure-stégosaure, à la mise en scène efficace et redoutable. Remarquablement animé et mis en scène, une grande qualité graphique excuse un peu la datation des données scientifiques... Dans ce morceau, pour la première fois, une véritable force prend le spectateur, subjugué par l'alliance de la musique et des images d'une telle noirceur. Un morceau qui impressionne, dont on retrouvera l'esthétique, bien des années plus tard, chez Don Bluth.


Le morceau suivant arrive à point nommé pour détendre l'atmosphère. "La symphonie pastorale" de Beethoven, se voit accompagnatrice des jeux de bébés pégase et d'amours naissants de centaures. Enfantin, ce morceau est donc plutôt (bon, d'accord. Très...) niais, mais son innocence en est paradoxalement sa force. Frais, il fait sourire, notamment à travers un Bacchus malmené, drôle à souhait. Parfaitement innoffensif, donc, il souffre de moments de longueur malgré son petit côté régressif et mignon tout plein au final assez agréable. A noter, également, un décor de l'Olympe réussi, dont l'esthétique inspirera encore des décennies plus tard, dans "Hercule".


Le morceau suivant reste sur le registre de l'humour. Avec "La Danse des heures", nous assistons à un ballet classique, à la différence près qu'il est ici interprété par des animaux. Pas n'importe quels animaux, de plus. En effet, les danseuses sont ici les créatures que l'on imagine pas forcemment en petits rats de l'opéra soit : des autruches, des hippopotames, des éléphants et des crocodiles. Plus réussi que le précédent, on ne s'ennuie pas devant les facéties de ces danseuses particulières, qui malgré leurs efforts, ne réussissent pas à présenter un spectacle banal. Aux décors épurés et finalement pauvres se substitut une animation parfaite à tout point de vue. Réussissant à rendre la musique classique très amusante pour les bambins qui pourraient y être réfractaires, ce morceau est assurémment inoubliable !


Enfin, évoquons le morceau final et selon moi le plus réussi de tous. Le dyptique "Une nuit sur le Mont Chauve"/"Ave Maria" présente une classique opposition musicale et picturale entre nuit et jour, mal et bien, profane et sacré. Mais de quel façon il le fait ! Le premier segment est d'une noirceur bluffante pour un Disney. Le terrible démon qui siège au sommet de la montagne fait froid dans le dos et quand il est rejoint par une armée de démons et de créatures de toute sorte, l'horreur est totale. L'animation soignée (bien que un peu datée), la musique puissante, contribuent à la représentation d'un sabbat plus terrifiant que tout ce que l'imagination suggère. À cette noirceur suit le lever du jour et des fidèles. Et tandis que les démons de la nuit disparaissent, l'Ave Maria retentit. Seul morceau chanté, malgré des images sobres, l'Ave Maria termine impeccablement ce voyage des sens. D'une force incroyable, ces morceaux impressionnant donnent des frissons. Difficile de faire mieux !


Finalement, la seule chose que je peux reprocher à "Fantasia", c'est le rythme assez poussif des intermèdes, entre deux séquences animées. Ces séquences ne sont pas dénuées d'intérêt -au contraure- mais obligent à retourner dans le monde réel entre chaque morceau, là où la puissance des images et de la musique pourraient faire oublier toute existence du monde physique. Il ne faudrait pas les enlever, car elles participent bien à la vulgarisation de la musique, mais en raccourcir quelques-unes auraient peut-être été plus judicieux.


Premier et à jamais plus beau clip musical, "Fantasia" a dû essuyer un échec retentissant. Ce n'est qu'avec les années qu'il a acquis son statut de classique. Tant mieux !

Presci1508
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le 26 août 2016

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