Les frères Coen possèdent la marque des grands : peu importe le genre cinématographique visité, le style particulier de la réalisation transcende largement ces étiquettes. Fargo n'est donc pas un thriller à proprement parler, mais bien d'avantage un film Coenien.
Cette constatation est d'autant plus vraie que du thriller, Fargo n'en possède que l'intrigue. Sur un pitch a priori simple, les frères ne peuvent s'empêcher d'y ajouter leurs thématiques, et notamment parmi celles-ci, celle du contrôle.
Comme dans la plupart des bons films Coenien, un personnage principal (ici, le génialement pathétique William H. Macy) tente tant bien que mal d'arriver à son but, malheureusement retenu par sa philosophie bien marquée. Le héros Coenien, c'est le Dude (The Big Lebowski) qui cherche à récupérer son tapis quand il ne peut se soucier de quoi que ce soit, c'est Llewyn Davis (Inside Llewyn Davis) cherchant la reconnaissance dans sa misanthropie, et c'est Larry Gopnik (A Serious Man) à la recherche de la paix dans son inertie. Et donc bien sûr, Jerry Lundegaard qui, de façon apeurée et perdue, poursuivra un semblant de contrôle sur sa vie, alors qu'il est avant tout passif dans sa façon d'aborder les relations humaines, qu'il perçoit surtout comme des jeux de pouvoir.
Bien souvent, le cadre l'entourera de barreaux pour lui révéler sa véritable nature de victime de sa condition, et les personnages lui tourneront le dos, comme pour lui rappeler qu'il n'est rien pour eux. Car l'une des autres caractéristiques du héros Coenien est son affrontement aux autres personnages du récit, tous présentant une philosophie différente pour aborder le conflit du personnage principal (ici, l'envie de contrôle). On pense évidemment au beau-père, monstre castrateur tellement maître de sa vie qu'il en deviendrait presque maître de celle des autres, mais aussi à Grimsrud (Peter Stormare), truand patibulaire, dont le nihilisme lui permet d'avoir un semblant de contrôle. C'est bien lui qui prend les choses en main en tuant le policier sur la route, alors que Showalter (Steve Buscemi), en proie au même doute existentiel que Jerry, n'arrivera pas à avoir le contrôle souhaité sur la situation.
Leur réponse face à ce doute sera cependant différente : s'ils se tournent tous les deux vers le crime, sorte de tricherie sur l'existence, Showalter face à l'imprévu accepte de se salir les mains pleinement, quand Jerry continue de sombrer dans la spirale du mensonge.
Cependant, c'est bien un autre affrontement qui intéressera les réalisateurs pour pleinement accomplir la visée de leur récit : celui de la policière Marge Gunderson (Frances McDormand) et de Grimsrud. Ce sera d'ailleurs l'un des derniers face à face du film : le silence de l'un face à l'incompréhension de l'autre.
Car Marge, en plus d'avoir cet esprit "Brainerdien" qui semble posséder tous les habitants de la ville du Minnesota (soit un esprit les poussant surtout à discutailler de tout et de rien, de la neige qui tombe et des repas pris, finalement un esprit simple les libérant de toute envie de contrôle qui est soit impossible à assouvir comme pour Jerry, ou quelque chose de néfaste comme pour son beau-père qui ne semble jamais apaisé de tout le film), elle a en plus cet esprit critique lui permettant non seulement d'être une bonne policière, mais également d'être consciente de sa chance de ne pas être prisonnière de cette crise existentielle.
C'est d'ailleurs ce qu'elle dira à son mari Norm en fin de film. Les Coen peuvent se vanter d'avoir réussi à représenter au cinéma la simplicité et ce qu'elle apporte, chose plus souvent tentée en masquant la réalité de cette simplicité. S'il est effectivement difficile de vendre du rêve sur le quotidien d'un couple d'une petite ville d'un état perdu sous la blancheur de l'incompréhension de l'Homme face à son environnement et sa place dans celui-ci, les frères réussissent ce pari perdu d'avance.
Une autre marque des grands.