Depuis Elena, qui a marqué une sorte de renouveau dans son style (coupant les ponts avec l’inspiration tarkovskienne) et dans sa vision du monde, en tout cas celle de la Russie, Andreï Zviaguintsev se fait désormais plus implacable que jamais. Après la vénalité des sentiments (Elena) et la corruption généralisée (Leviathan), Zviaguintsev semble bien décidé à ne toujours pas épargner son pays en lui renvoyant l’image terrifiante de sa déchéance morale (ici l’individualisme et le renfermement sur soi). À travers ce couple qui se déchire et leur enfant qui fugue puis disparaît, Zviaguintsev dissèque une nouvelle fois une société en perte d’affects et de valeurs.


L’image de cette femme et de cet homme qui se sont à peine aimés jadis, qui ne sont plus rongés que par les rancunes et la haine de l’autre, paraît résumer à elle seule tout ce qui ne va plus ici et ailleurs (relations conflictuelles, égocentrisme grandissant, emprise du virtuel…). Genia est une harpie qui n’a en tête que son bonheur futur (avant de s’en lasser, très certainement, comme elle s’est lassée du précédent) avec un riche quinqua, Boris lui est un ours un peu lâche qui a déjà mis enceinte sa nouvelle petite amie et qui ne pense qu’à son petit confort. Et au milieu, un garçon, Aliocha, dont on ne sait que faire, qui ennuie, qui gêne… La disparition du fils sert évidemment de révélateur des hypocrisies et compromissions du quotidien, rarement envisagée comme un événement tragique par les parents (et par la police), mais davantage comme un nouveau sujet de discorde et un simple contretemps à leur reconstruction sociale et amoureuse.


Entre super-auteur sûr de sa maîtrise (et un rien solennel parfois), donneur de leçons à la Haneke et observateur de son temps, Zviaguintsev fustige les délabrements de nos vies et des institutions dont il résumera l’inéluctabilité, au détour d’un bref dialogue, en évoquant un peuple passé de "Pouchkine à Poutine". Les personnages, fielleux, insensibles et médiocres, n’ont pas grand-chose à offrir (ni à exprimer) dans leur inébranlable antipathie, sinon une soudaine détresse lors d’un passage à la morgue. Zviaguintsev ne sauve ni l’un ni l’autre de ce terrible gâchis, les accablant jusqu’à la fin au son des chars et des cris de la révolution ukrainienne de 2014, étouffé dans l’indifférence domestique et par l'ascendant d'une Russie pourtant à bout de souffle, littéralement.

mymp
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le 5 sept. 2017

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