Le mot anglais ”plot” signifie à la fois ”complot” & « intrigue », celle du cinéma. Fellini n’a plus besoin ni de l’un ni de l’autre, ni de Brutus conspirant ni d’un scénariste inspirant ; sa fascination pour le lien entre Rome antique & Rome moderne ne le quittant pas (jolie métaphore que l’embouteillage devant le Colisée), il prend son Satyricon à rebrousse-poils & représente trois décennies de sa propre époque en un seul trait, comme pour biffer sa propre carrière hachurant l’intervalle & avec pour résultat de hanter chaque année avec toutes celles qui la précédèrent : Rome ancienne & Rome nouvelle se mêlent & s’interpénètrent comme si l’Homme y était finalement aussi étranger que sur une autre planète & à peine toléré comme un saprophyte sur le réel organisme, la ville elle-même.


Impossible alors de savoir ce qui est antique ou contemporain, voire même réel & simulé. On pourrait croire que le régisseur s’était mis à ne plus rien avoir à faire de son public, mais la semi-autobiographie un peu pathétique (dans les deux sens du terme) rend l’argument difficile ; cette fausse modestie est contrebalancée par la débauche de moyens, mais pas assez pour occulter une réelle impression d’intrusivité : volonté documentaire ou non, le ”chapitre” sur l’autoroute romaine (où l’on filme la caméra montée sur un camion-grue) met trop en avant la difficulté que cela représentait de tourner dans des conditions pluvieuses & embouteillées, ce qui fêle la bouffonnerie & laisse s’insinuer l’exhibition type Art & Essai.


L’œuvre finit par être un défilé entêtant de ces chapitres, jamais tout à fait des sketchs, entretenant l’illusion que l’œuvre n’est pas, en fait & avant tout, un patchwork dépourvu de sens ou presque. Si le sentiment d’après-visionnage est ainsi voué à une maturation bénéfique, cette morphologie constitue le raté dans un album (ni de photos ni de chansons car on est dans un entremonde) qui serait sinon brillant, ou le faux pas dans l’accession à l’objet véritable de cette phrase : ”chez Fellini, on n’a pas besoin d’intrigue”. Je l’ai eu pensé mais, non, je ne me servirai décidément pas de Roma comme exemple.


Bien que peu convaincu par l’hésitation entre les genres, j’admire encore une fois Fellini pour la force qu’il met dans la déchéance & la clarté revêtue par des contrastes capillotractés. Les habits sacerdotaux qui s’illuminent sur le tapis d’un défilé de mode, je dis oui. Voir Rome comme la cité de l’illusion parce qu’y siègent à la fois la religion, le cinéma & l’État, je dis oui, même si ce n’est pas nouveau. Mesurer l’affection qu’on porte aux femmes par le nombre d’enfants qu’on a engendrés, je dis oui. Enfin, non, parce que c’est beauf, mais dans Roma, à la gloire d’une décadence propre, prise dans la rue : oui.


Pas encore de déception pour moi chez Fellini ; Satyricon ne m’aura donc pas insupporté par lassitude & reste pour le moment l’exception. Je suis moins sûr de pouvoir encore longtemps défendre sa propension à ne rien vouloir dire mais mon opinion tient bon. Et vous, vous saviez que Monaco en italien désigne aussi bien Münich que Monaco ?


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EowynCwper
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le 2 févr. 2020

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Eowyn Cwper

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