Sous des dehors de thriller, Fenêtre sur cour est sans conteste un des films les plus brillants d'Hitchcock, une étude de moeurs vénéneuse, implacable et fascinante. Hitchcock a particulièrement bien décrit le caractère de son héros, le photographe incarné par James Stewart qui, habitué à saisir les images de la réalité, devient à cause de son immobilité tout naturellement un voyeur traquant son voisinage et assouvissant ses fantasmes personnels. Il épie ses voisins en espérant découvrir quelque chose de surprenant et de sensationnel. Tout un microcosme social se révèle dans un décor construit à échelle réelle et qui reste une des vraies vedettes du film ; ce plateau nécessita une infrastructure énorme. Hitchcock fit construire d'immenses décors figurant une cour intérieure de petits immeubles, avec 32 appartements répartis autour, dont celui de Stewart, et dont 12 de ceux-ci étaient parfaitement habitables.
Le génie d'Hitchcock consiste à projeter le spectateur dans cette cour en même temps que son héros cloué dans son fauteuil, pour qu'il devienne à son tour un voyeur, surveillant ainsi les locataires d'en face, devenant le témoin d'un fait inhabituel. Le héros et le spectateur s'attachent de plus en plus à ce microcosme humain qui leur est offert, et le réalisateur leur montre en quelques touches l'essentiel, cernant les différents personnages, pour la plupart des êtres frustrés à la recherche de compagnie. Stewart traque à travers son objectif ou ses jumelles le comportement de ces voisins ordinaires, scrutant leur intimité jusqu'à découvrir ce qui peut sembler l'amorce d'un crime.
Et si l'un d'eux était un assassin ? Comme dans la Corde, autre huis-clos hitchcockien, comme dans Psychose ou Sueurs froides, Hitchcock précipite d'un coup le spectateur au sein d'une intrigue angoissante, jouant sur le voyeurisme, l'ambiguïté des apparences et un savant suspense, et en même temps avec nos nerfs. Le film est construit comme une spirale dont Hitchcock surveille en permanence l'inéluctable descente, où les termes de suspense, de thriller et de drame criminel trouvent tout leur sens.
Le héros reçoit quelques visites, celle d'un ami qui reste sceptique à ses soupçons de meurtre, celle d'une infirmière bavarde, et celle de Lisa sa douce amie, femme superbe incarnée par la blondeur de Grace Kelly dans tout son éclat, elle est ici d'une beauté rayonnante dans ses robes seyantes et sa chemise de nuit transparente tel que le permettait la censure de 1954, l'érotisme est latent avec aussi plein de sous-entendus. Elle excite de ses assiduités son aimé qui se dérobe (l'idiot) pour d'obscures raisons, symbole sans doute d'une certaine misogynie hitchcockienne.
Malgré tous ces personnages qui gravitent autour de lui, y compris les voisins, dont l'inquiétant Thorwald joué par Raymond Burr, le personnage de Stewart est au centre de cette mini comédie humaine, tout passe par lui et par son oeil inquisiteur dans cette atmosphère lourde de chaleur estivale créée par Hitchcock. Celui-ci nous fait alternativement peur, nous inquiète au moment où on s'y attend le moins, puis désamorce cette peur par un peu d'humour, nous rassure enfin ou fait semblant, bref c'est une formidable leçon de cinéma qui se termine de façon un peu abrupte et classique, mais qui se déguste avec délice au premier degré comme un vrai polar, et se prête à des commentaires et interprétations inépuisables. L'un des 5 ou 6 très grands films du Maître, et un de mes Hitchcock préférés (n°2 dans mon Top Hitchcockien), en gros un pur chef-d'oeuvre !

Créée

le 3 janv. 2018

Critique lue 720 fois

40 j'aime

19 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 720 fois

40
19

D'autres avis sur Fenêtre sur cour

Fenêtre sur cour
Hypérion
10

And your love life ?

Rear Window, une des très grandes pellicules d'Alfred Hitchcok, personnellement ma préférée, où le maître du suspens parvient dans une maestria de mise en scène à faire du spectateur un voyeur...

le 11 déc. 2012

110 j'aime

17

Fenêtre sur cour
Sergent_Pepper
10

Vois, vis, deviens.

Souvent, le film parfait est intimidant : c’est un monument qui nous écrase de sa grandeur, un sommet dont on entreprend l’ascension avec l’appréhension du cinéphile qui se demande s’il sera à la...

le 19 juin 2013

103 j'aime

9

Fenêtre sur cour
Docteur_Jivago
9

Photo obsession

Aujourd'hui encore, Rear Window reste l'une des oeuvres les plus célèbres d'Alfred Hitchcock, voire même de l'histoire du cinéma et ce n'est pas pour rien. Le maître du suspense réalise un véritable...

le 23 août 2016

59 j'aime

7

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

121 j'aime

96

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

95 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 4 déc. 2016

95 j'aime

45