Au début de ce siècle, j’avais eu le plaisir de découvrir Festen sur Canal +. Depuis, j’avais le souhait de le voir sur grand écran, comme ce fût le cas pour Apocalypse Now, Memories of Murder, L’Exorciste, Blue Velvet, New-York 1997, Elephant Man, etc… tant ces œuvres m’ont marqué et impressionné. Surtout, j’estime qu’un film ne s’apprécie réellement qu’au sein d’une salle de cinéma pour l’évaluer à sa juste valeur.


Famille nombreuse, famille (mal)heureuse


Dès les premières secondes, on sent que cette réunion de famille pour les 60 ans du père, ne sera pas une partie de plaisir. Christian (Ulrich Thomsen) marche seul sur une route de campagne avec sa valise, sans qu’on en comprenne la raison. Son frère Michael (Thomas Bo Larsen) le dépasse avec son véhicule en compagnie de sa femme Mette (Helle Dolleris) et de leurs trois enfants. Il s’arrête, met sa famille dehors et fait monter son frère aîné à leurs places. Dans son comportement, on sent que Michael est un sale con, certains iront même jusqu’à dire un sale gros con de beauf.


Ensuite, on fait la connaissance de leur sœur Hélène (Paprika Steen), jouant de ses charmes et de son argent pour faire accélérer le chauffeur de son taxi. Puis, le fameux père, Helge (Henning Moritzen), qui tel le parrain, demande à s’entretenir avec Christian dans son fumoir. On pense à la série Succession avec ce patriarche à la main de fer, régnant sur un royaume dont ses enfants ne semblent pas dignes de son héritage. Une famille où la plupart le flatte pour avoir une place importante au sein de sa cour. Mais comme dans la plupart des familles, il y a des secrets inavouables.


La chute de la maison Klingenfeldt


La réunion de famille se déroule peu après le suicide de la sœur jumelle de Christian. Un drame qui a ravivé de douloureux souvenirs provenant de son enfance. L’anniversaire de son monstre de père est l’occasion de faire honneur à sa sœur et d’en révéler le vrai visage.


Le repas de famille est le moment idéal pour faire sa révélation. Christian va s’en saisir en donnant le choix du discours à son père, le papier vert ou le jaune. On se demande encore quel était la teneur du jaune. La révélation ne va pas avoir un effet immédiat. Le cerveau des convives ne semble pas vouloir l’entendre, en lui préférant les histoires polissonnes du vieux grand-père gâteux, qui semblent plus acceptable à leurs oreilles. Cette absence de réactions est intéressante, elle nous questionne sur notre capacité à réagir et de quelle manière à l’écoute d’une vérité qui dérange. La famille n’est pas encore prête à l’entendre. Christian se retrouve seul face à ce monstre, prêt à baisser les bras.


Le film ne se résume pas à cette famille dysfonctionnelle. En coulisses, une lutte des classes est en train de se jouer. On a déjà pu l’apercevoir à travers le comportement d’Hélène avec le chauffeur de taxi puis de Michael avec le réceptionniste (Lars Brygmann). A travers Christian, “le petit personnel” prend sa revanche sur ce patriarche et sa cour de flagorneurs.neuses, au sein de laquelle la mère, Else (Birthe Neumann), refuse de voir et d’entendre l'innommable depuis des années, comme Hélène qui tente de se rebeller et de les provoquer avec son nouvel ami noir, Gbatokai (Gbatokai Dakinah), alors que sa famille est profondément raciste. La maison Klingenfeldt est en train de se fissurer.


Et si?


Christian propose à son père de choisir entre ses deux discours, le vert ou le jaune. Et si, il avait choisit le jaune, que ce serait-il passé? Et si, Pia (Trine Dyrholm) n’était pas allée prendre le tube d’aspirine d’Hélène? Et si, Kim (Bjarne Henriksen) n’avait pas soutenu Christian? Et si Hélène n’avait pas invité un homme noir? Et si la mère n’avait pas fermé les yeux?


La vie est une suite de choix, de non-dits, de regrets et d’évènements, lors desquels, tout est susceptible de basculer. Le suicide de sa sœur pousse Christian a révéler les actes odieux de son père. Il est sous le choc. On comprend mieux pourquoi il erre sur la route pour se rendre à la fête d’anniversaire. Il se sent coupable. Et si, il en avait parlé avant, serait-elle encore là? On ne sait jamais quelles seront les réactions et conséquences. La famille va-t’elle imploser ou cette déflagration va renforcer les liens?


Christian, Michael et Hélène


Chacun des enfants a une personnalité et un parcours de vie différent. Christian est parti à Paris. Il a ouvert des restaurants. Il se montre hésitant quand on le questionne sur son statut sentimental. Comme sa défunte sœur, il n’a pas d’enfants. Michael est le seul à s’être marié, à fonder une famille. Il est à la recherche de l’approbation de son père. Il a un comportement machiste et violent envers sa femme, comme auprès de ses maitresses. Michael est un homme à femmes malgré son physique ingrat. Mais la violence et les névroses attirent les femmes, ainsi que sa grande gueule d’alcoolique. On le déteste. C’est un être abject dès son apparition. Enfin, Hélène passe d’un homme à un autre. Elle n’a pas d’enfants. Elle a un comportement d’adolescente, en perpétuelle rébellion envers ses parents.


Dogme95


Le film est tourné selon le Dogme95, un style définit par les réalisateurs danois Thomas Vinterberg et Lars Von Trier, qui confère au film un certain réalisme, une nervosité et intensité qui le rendent immersif, en le dépouillant de tout esthétisme. On a le sentiment d’être parmi eux, de ressentir la violence des mots et des gestes, avec l’envie d’interpeller chacun des protagonistes, de les secouer et de soutenir Christian dans son combat pour la vérité.


Il est rare qu’un film me secoue, au point de me faire ressentir une foule d’émotions. Ce style est proche du théâtre, l'action se déroulant en un seul lieu comme sur une scène. Festen en est sa première et meilleure œuvre. Il sera suivi par Les Idiots de Lars Von Trier, avant de s'essouffler et de prendre fin en 2005, soit 10 ans après son instauration.


Enfin, bref…


Festen est le chef-d'œuvre de Thomas Vinterberg. Elle est d’une impressionnante puissance émotionnelle, dû à son style et les thèmes qui sont abordés, comme la transmission générationnelle d’un grand-père polisson au comportement violent de Michael, en passant par le monstrueux Helge. Les secrets de famille qui les rongent de l’intérieur, au point d’accepter l'inacceptable pour ne pas perdre leurs privilèges. La lutte des classes avec ses jeux de domination et de pouvoir.


C’est violent avec une touche d’humour noire. Les acteurs.trices sont habités par leurs rôles. On sent les séances de répétition et d’improvisation pour donner corps à une œuvre qui ne manque pas de chair, en se bonifiant avec le temps comme le bon vin.

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8
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le 1 sept. 2021

Critique lue 25 fois

Laurent Doe

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