Qu'il est difficile d'entreprendre la critique de ce monument du cinéma qu'est Fight Club. La réalisation de David Fincher possède la faculté de vous faire sentir minuscule face à la densité de son propos. On ne sait jamais réellement où l'on en est avec ce long-métrage tant notre perception change à chaque visionnage de celui-ci. L'une des seules certitudes à avoir, c'est que Fight Club s'installe aisément comme une référence, un point d'orgue de la culture populaire des années 2000 .


Même si avec Fight Club David Fincher n'en est pas à son coup d'essai, on ne pourra nier qu'il signe là sa plus belle réussite, son incontournable chef-d'oeuvre. Et ce, bien aidé par un casting de rêve avec l'excellent Edward Norton révélé un an auparavant dans le sombre et magnifique American History X, et l'inébranlable Brad Pitt, qui déjà avait été associé à Fincher dans Seven, sorti trois ans plus tôt. Sur le papier, évidemment, le film partait gagnant.


Mais, plus qu'une grosse équipe, Fight Club repose avant tout sur un scénario irréprochable tiré du roman de Chuck Palahniuk publié en 1996 ; une critique exacerbée de la société de consommation des années 1990 et de la mondialisation. Là s'ouvre le débat quant à la question d'anarchie que semblent mettre en valeur à la fois le film et le roman. Mais ce n'est de loin pas la seule question que l'oeuvre soulève.


Il est difficile d'établir une critique de Fight Club en évitant tout spoiler tant le dénouement de la réalisation prime sur sa construction. Construction qui, par ailleurs, demeure plus ou moins obscure. Il est assez difficile, dès le premier visionnage, de deviner l'issue. Mais là où Fight Club se veut génial, c'est qu'après un second visionnage, on prend conscience de choses nouvelles, qui nous avaient parues futiles ou inintéressantes auparavant. Dès lors, la construction amenant la fin du film se révèle être tout simplement de l'ordre du génie. La force d'un film ne réside-t-elle pas dans la capacité qu'a ce dernier à toujours nous en révéler plus au fil du temps ?


Par ailleurs, la force philosophique de Fight Club se veut aussi en être l'un des points d'orgue, même si elle a tendance à tirer vers le mainstream ces dernières années de par l'afflux de critiques aveuglés par l'envie de détruire des œuvres ô combien incontestables. C'est ici l'occasion de préciser que Fight Club ne se regarde pas comme un simple divertissement, sous peine de passer à côté d’innombrables détails qui sont pourtant l'identité même du film. Non, il faut prendre Fight Club comme tel, comme une critique acerbe de note société qui n'a guère évoluée depuis les années 1990. Chuck Palahniuk prônait un changement radical, il invitait sa société à faire table rase et recommencer sur de nouvelles bases. Mais le film offre une nouvelle dimension à son propos puisque la violence qu'il met en scène nuance le propos de l'auteur. Plus que la question identitaire c'est la dimension sociale que tient à relever Fight Club : vers quoi tendons-nous actuellement ? l'anarchie proposée est-elle vraiment une solution ? Toutefois, Fight Club ne donne aucune alternative à notre société pervertie et soulève des questions sans jamais y répondre, et c'est là sa force philosophique : inviter le spectateur à lui-même répondre à ces questions.


Il faut tout de même s'attarder sur la complexité des personnages, bien qu'on ne puisse ici en donner tous les détails. Le narrateur, Marla et l'incontournable Tyler Durden. Rien qu'en lisant ceci, vous le devinez le triangle amoureux, n'est-ce pas ? Et pourtant.
Commençons par le commencement, le narrateur, incarné par Edward Norton. Il n'a pas de nom, pas d'identité à vrai dire. Une vie aseptisée, régie par la société et pas une once de liberté. Pourtant, dès le début, on peut déceler chez lui une envie de s'échapper. Il est à l'étroit dans cette société qui dicte ses actes, en témoigne le ton monotone qu'il emploie. Pour fuir, il fraude. Mentir, enfreindre des règles, ne serait-ce pas réellement vers cela que nous pousse notre société ?
Et c'est dans son mensonge qu'il rencontre Marla incarnée par Elena Bonham Carter. Le dégoût, puis la fascination. Le narrateur se retrouve en elle, et est confronté à son propre péché, son propre vice. De là se crée une relation très conflictuelle mais passionnée. Alors que l'on peut relever le sentiment d'une relation amoureuse dispensable, Marla fait état d'une bouée de sauvetage dont on se serait bien passé tant notre héros, plus anti-héros que héros cela-dit, nous plaît dans son malheur.
Enfin, comment ne pas évoquer le Tyler Durden de Brad Pitt ? Durden incarne celui que tout un chacun aimerait être ou devenir, mais qui pourtant est voué à être amoureusement détesté. Le club de combat clandestin dont il est à l'origine après sa rencontre avec le narrateur devient vite une échappatoire à la société, une parenthèse dans la vie du héros. Tyler Durden, est juste ce que le personnage incarné par Norton voudrait être, le contraire de ce qu'il est réellement. Une sorte d'ailleurs, d'idéal, de but à long terme. Et c'est cette relation (et tout ce qu'elle engendre, d'ailleurs) qui, vraiment, se veut l'essence même de ce film. Le spectateur assiste dès lors à un voyage initiatique qui nous montre l'évolution morale, sociale et psychique du narrateur qui ne révèle jamais réellement son identité : ascension ou descente aux enfers ?


Quoiqu'il en soit, Fight Club est de ces films qui donnent naissance à nombre de phrases cultes, de projets et d'utopies. Car ce que dépeint Fight Club c'est avant toute chose le monde dans lequel nous vivons et ce à quoi nous aspirons. Sans jamais révéler la solution aux malheurs dont il fait état, le film nous invite à une remise en question que chaque visionnage nous pousse à recommencer. Fight Club est une quête identitaire dont l'enjeu est purement social. On peut ainsi dire que Fight Club dépasse le simple statut d'oeuvre cinématographique et devient alors une oeuvre à part entière tant elle pousse à la réflexion sans pour autant proposer une vision manichéenne de la chose.


Cependant, Fight Club reste néanmoins un film au ton léger, bien qu'entravé de scènes plus ou moins choquantes. La dimension dramatique mis à part, Fight Club est un chef-d'oeuvre de réalisation, chaque plan en surpassant un autre. Un film où l'humour, d'une subtilité bienvenue, côtoie la violence sans jamais tomber dans la parodie. Le jeu d'acteur est absolument superbe et ne souffre d'aucun défaut. Et évidemment, le twist final donne une toute autre dimension au film.


Plus que jamais, Fight Club est un film qu'il faut avoir vu, et surtout revu pour en saisir toute la subtilité. On ne s'en lasse pas, même 14 ans après.

vincentbornert
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le 2 nov. 2013

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