La destruction. Annihiler toute chose, tous concepts, répandre le chaos sur le monde qu'on croyait inébranlable, intouchable, voilà quelque chose de tentant. Mettre à feu et à sang, tout recommencer pour échouer de nouveau mais, cette fois ci, de son propre chef, voilà qui est terriblement séduisant. On touche ici à la pulsion la plus primale qu'un humain peut exercer : agir la haine et le dégoût car ce que nous offre l'existence sera constamment et invariablement décevant.


Nous sommes des grands frustrés de la vie, voguant chaque jour dans les mêmes endroits sans saveurs, sans rien, sans rien de plus qu'une mine de circonstance juste bonne à tromper autrui et soi-même. En réalité nous manquons. Nous manquons de vie, d'une pulsion à assouvir, pulsion dont nous n'avions jusque-là aucune idée. Elle est là, tapie au fond de chacun, prête à bondir au premier mauvais regard, à la première échauffourée. Pourtant nous la taisons. Ce n'est pas morale dit notre être. Ce n'est pas juste. Pourquoi aurais-je le droit, moi, de jouir si cela doit l'emporter sur le désir d'un autre ? Nous ne nous laissons aucun droit car nous sommes des êtres de société et non des Hommes seuls sans autre artifice qu'un phallus à faire dégorger en évitant tous ces salamalecs. Humain, terriblement Humain. Nous voulons être plus, nous souhaitons être l'animal qui rode, qui bondit, nous voulons tenter d'atteindre la vie. Or, tout cela est vain.


Fight Club évoque tout cela et bien davantage encore. On nous parle du processus adolescent, celui-là même qui nous a tous fait un jour ou l'autre repenser nos acquis, ceux que nous ont inculqués nos parents et notre société. Dieu le père s'avère faillible, alors pourquoi y voir un modèle ? Désirer remettre tout à zéro, détruire le système financier, c'est nier le generationnel, nier le nom du père pour ne pas citer l'ami Lacan. L'esprit en pleine rébellion saccage les constructions établies, c'est forcé. L'esprit en pleine rébellion est sans dessus dessous. L'esprit en pleine rébellion se créé un double, un corps étranger, sexué, difforme, qu'il va falloir accepter pour grandir. Et grandir signifie accepter, bouffer et intégrer le Tyler Durden qui hurle en nous.


C'est presque inutile de revenir sur le propos de Fight Club. Tout le monde l'a vu, en a établi son ambiance viscérale, sa dénonciation évidente d'une société sclérosée par la consommation, la propriété et tout un tas d'autres mots/maux d'adultes bien portants. Tout le monde se souvient de ce petit club, d'abord fondé comme exutoire puis transformé en secte tentaculaire. Tout le monde sait quel goût a son fameux twist qui, s'il demeure une méconnaissance habituelle de la psychiatrie, fonctionne admirablement...encore et toujours. Tout le monde sait de quoi on cause alors pourquoi continuer d'en parler ?


Parler de Fight Club s'avère nécessaire. Bien évidemment sa vision anticonformiste à de quoi rendre mou le plus zélé des zélateurs , elle a de quoi faire sourire d'un rictus enfantin. Ces histoires là c'est bien quand on a quatorze ans et qu'on a envie de se croire différent de la masse de laquelle on a été expulsé. On peut se le dire comme on peut aller crier à qui veut l'entendre que se résigner c'est survivre quand d'autres te diront que se résigner c'est crever doucement. L'un et l'autre auront raison car l'état de revendication d'une certaine réalité n'est que passager. Nous faisons compromis sur compromis et finissons par nous oublier.


Et Fight Club est là pour nous rappeler quel adolescent écervelé nous avons été, une grande nostalgie dans l'évocation accompagné d'un trémolo plaintif. Nous sommes devenus adultes, nous avons survécu au sentiment de rejet que nous a inspiré nos créateurs. Pour autant nous restons un peuple de pulsionnels, et ce, quoi qu'il puisse nous arriver.


Nous apprenons de ce fait à doser tandis que le film explose en millions de boyaux, raclant la merde à même les murs de l'infâme piaule de Tyler chez qui le rêve d'une société sans compromis est resté vivace. Nous avons renoncé à cela pour vivre avec l'autre, lui non. Lui, massacre son Autre et en subit tout le chaos.


C'est beau comme un coup de chevrotine. Sale mais beau.

Fosca
10
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le 29 sept. 2017

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Fosca

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